Edito
Par Yacine Merzougui
Il y a 153 ans, jour pour jour, le 24 octobre 1870, la France coloniale signait l’un des actes les plus cyniques de sa politique du « diviser pour régner ». Le décret Crémieux, accordant la citoyenneté française aux seuls juifs d’Algérie, allait créer une fracture durable au sein de la société algérienne, dont les échos résonnent encore aujourd’hui.
La stratégie était aussi simple que perverse : créer une hiérarchie artificielle au sein de la population algérienne. D’un côté, une communauté juive subitement propulsée au rang de citoyens français, de l’autre, l’immense majorité musulmane maintenue dans l’indignité du code de l’indigénat. Cette politique a semé les graines d’une discorde qui allait empoisonner les relations intercommunautaires pendant des décennies.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 1872, sur deux millions d’habitants, seuls 245 000 Européens possédaient déjà le quart des terres agricoles. En 1886, plus de sept millions d’hectares étaient passés aux mains des colons, dépossédant les populations locales de leur patrimoine ancestral.
Cette politique de dépossession ne s’est pas limitée aux terres. Les musulmans, bien qu’astreints au service militaire et aux impôts, restaient des sujets de seconde zone.
La révolte de 1871, menée par le Cheikh El Mokrani, illustre tragiquement les conséquences de cette politique. La répression qui s’ensuivit fut implacable : 450 000 hectares confisqués, des déportations massives vers Cayenne et la Nouvelle-Calédonie, des amendes colossales imposées aux tribus kabyles.
L’héritage du décret Crémieux nous interroge aujourd’hui sur la nature même du projet colonial. Il nous rappelle que la colonisation ne fut pas qu’une entreprise de conquête territoriale, mais aussi une tentative méthodique de destruction du tissu social des peuples colonisés.
Cette page sombre de l’histoire franco-algérienne nous invite à réfléchir sur les mécanismes de domination et leurs conséquences à long terme. Elle nous rappelle que la réconciliation des mémoires passe nécessairement par la reconnaissance des injustices passées et de leurs répercussions contemporaines.
Le décret Crémieux reste ainsi un symbole de la violence coloniale, non pas celle des armes, mais celle, plus insidieuse, des textes juridiques qui, sous couvert de « civilisation », visaient à désunir pour mieux asservir.
Le « quoi qu’il en coûte », finalement, n’est pas né avec la pandémie du Covid-19. Il trouve bel et bien son origine dans le massacre massif des Algériens sous couvert d’un texte juridique.
Y.M.