A la suite de la participation de plusieurs professionnels et experts algériens à la première édition des Health Digital Days (HDD), tenue le 13 novembre dernier à l’Ecole Supérieure Algérienne des Affaires (ESAA), le premier débat national sur la télémédecine et la e-santé a été amorcé. Plusieurs recommandations ont découlé de cette rencontre visant la mise en œuvre d’un plan d’action sur le terrain.
Ladite rencontre a permis aux participants de partager les meilleures pratiques dans un domaine encore en phase préliminaire et decerner par la même occasion les éléments pouvant jouer en faveur du développement de la e-santé dans un pays aussi vaste que l’Algérie et ou les besoins sur le plan sanitaire sont de plus en plus grandissants avec la poussée démographique.Des besoins dont la prise en charge pourrait être facilitée avec la démocratisation des nouvelles technologies de l’information de la communication (TIC). En effet, Sense Healthcare, agence de communication multicanal, spécialisée dans la santé, a pris l’initiative d’inviter des spécialistes autour d’un dossier qui revêt une grande importance au moment où l’on parle de plus en plus de la nécessité de passer à l’économie digitale.La santé figure justement parmi les secteurs qui gagneraient à passer à l’ère de la digitalisation. Ce que les professionnels ont relevé tout au long de leurs interventions et pendant les débats.
Sept exposés et une série de propositions
Au nombre de sept, les exposés ont porté globalement les moyens à mettre en œuvre pour le développement de la e-santé en Algérie. Et ce à travers les trois panels organisés à cet effet dont le premier a débuté avec la présentation du Professeur Zoubir Sari, membre fondateur de la SATeS (Société Algérienne de Télémédecine et e-Santé) sur l’état des lieux et les perspectives de la télémédecine en Algérie. Une solution qui consiste enla fourniture à distance, en toute sécurité, éthique et déontologie des services de soins de santé par les TIC tel que rappelée par Pr Sari. Mais qui a cependant besoin d’un cadre légal pour être institutionnalisée.
En attendant la finalisation justement de ce dossier sur lequel le Ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme Hospitalière (MSPRH), leProfesseur en Médecine Interne a proposé dans un premier temps de lancer des expériences via la téléconsultation, la télésurveillance et la téléassistance médicale notamment dans le cas des maladies chroniques par exemple. Cela tout en œuvrant pour lever les barrières réglementaires, financières, techniques et humaines pour mettre le digital au service de la santé. Des points sur lesquels le représentant du MSPRH a pris durant les débats des engagements affichant la volonté politique des pouvoirs public à asseoir les bases de la télémédecine en Algérie
L’exposé de Nabil Aouffen, Professeur anesthésiste-réanimateur et Directeur Général de l’Agence Thématique de Recherche en Systèmes de Santé – ATRSS a porté sur « l’innovation et lestechnologies biomédicales, un axe du programme national de recherche en santé ». Dans son intervention, le Professeur a rappelé les grandes lignes de la transition sanitaire qu’a connue l’Algérie au cours de ces dernières années relevantde la santé connectée qui est en pleine mutation. « Le digital fait partie intégrale de l’industrie de la santé », a-t-il précisé citant au passage les solutions proposées par les TIC dans ce domaine à l’image des applications mobiles et des nouveaux logiciels développés dans le secteur. Pour le Pr Aouffen, cette rencontre présente une occasion pour cerner ; appréhender ; analyser ; étudier les perspectives du développement de la santé et enfin présenter les meilleures solutions technologiques aux professionnels de la santé et du digital. Les acteurs du secteur des TIC présents à la rencontre se sont montrés disponibles à proposer leurs offres dans ce cadre à travers le développement de partenariats et de collaborationsetmettre en place les moyens de communications digitaux au profitde la e-santé. Un axe qui fait partie de ceux identifiés par l’ATRSS pour la recherche.
« La e-santé – et désormais la m-santé – doivent être considérées non comme une fin mais comme un ensemble de moyens permettant d’améliorer l’accès aux soins, la qualité des prises en charge et l’autonomie des patients », dira Pr. Aouffen en conclusion.
Le rôle primordial du médecin généraliste dans le développement de la e-santé
Dans la communication de Dr. Benhabla, membre de la Société Algérienne de Médecine Générale (SAMG), l’accent est mis sur le rôle du médecin généraliste dans un système de santé organisé. La coordination des soins via la télémédecine est primordiale pour la SAMG qui évoque à titre d’exemple le transfert par e-mail des dossiers médicaux avant le transfert physique du patient.
Mohamed Zeroug, Professeur en gastroentérologie et Secrétaire Général de la Société Algérienne de Télémédecine et e-Santé (SATeS) a abordé au début du deuxième panel pour sa part l’apport de la télémédecine dans l’amélioration de l’accès aux soins dans notre pays. Il donnera ainsi l’avis d’un clinicien citant quelques exemples de tentatives d’implémentation et d’externalisation de certains gestes médicaux en dehors d’Alger. « Cet exercice de la médecine en dehors des CHU et particulièrement de notre spécialité a été d’une extrême richesse tant humaine que professionnelle. Cette expérience a fermement renforcé notre conviction de mettre l’expertise médicale à la portée du patient et du praticien vivant en dehors des grands centres urbains du nord qui constituent des centres de référence où sont concentrées la plupart des compétences », s’est-il réjouit. Et ce, avant de résumer quela télémédecinen’est pas un gadget etne doit en aucun cas remplacer la Relation Médecin Malade.« C’est un simple outil », précisera-t-il avertissant :
« Sans une compétenceavérée du médecingénéraliste tout le système sera fragilisé etinefficient. C’est lui qui déclenche le processus pour les soins devant être pratiques au patient : C’est lui le premier filtre »
Pour le professeur Zeroug, deux axes prioritaires sont à prendre en considération pour le développement de la télémédecine. Il s’agit d’un côté, dela réalisation de téléconsultation en visioconférence, perçue comme un moyen de maintenir le lien et la proximité avec les patients tout en évitant des déplacements coûteux en temps et en moyens.
D’autre part, il y a lieu de mettre en œuvre des systèmes experts, qui vont analyser les données biomédicales et d’imagerie transmises en temps réel ou différé. Dans ce cadre, le professeur a plaidé pour le lancementde projetspilotes immédiatement disponibles, extensibles et duplicables ainsi que la création de centres d’appels d’aideau management des urgences à la disposition des généralistesà travers le territoire national.
Axer les efforts sur la formation
Au menu des thèmes débattus, l’on retiendra également celui de Souhil Tliba, Professeur Chef de Service de Neurochirurgie au CHU de Béjaia, Doyen de la Faculté de Médecine de l’Université de Béjaia et Directeur du Laboratoire de Recherche « Génie Biologique des Cancers”. Ce spécialiste a mis en avant le rôle de la formation dans le développement de la télémédecine. Il a identifié les axes sur lesquels il y a lieu de faire des efforts proposant d’encourager les TIC dans le secteur en dispensant des formations aux professionnels du secteur et en inscrivant la formation en ligne dans le cursus des spécialistes.
L’OMS mise sur les technologies mobiles pour améliorer les soins
Du côté de l’organisation mondiale de la santé (OMS), Mohamed El Amine Djaker, spécialiste des technologies de l’information et de la communication, rappellera que les engagements de l’OMS dans ce domaine sont importants dans une période oùles TICsont en train de révolutionner la prestation de soins de santé. Ce qui permettra à la e-santé de renforcer les systèmes de santé par la disponibilité de l’information sanitaire, médicale et managériale fiable et en temps réel ; d’améliorer la surveillance épidémiologique et la lutte contre les maladies ; d’améliorer la formation du personnel du secteur de la santé et d’accélérer la Couverture Sanitaire Universelle.
Pour concrétiser ces objectifs, l’OMS a émis une série de recommandations. A commencer par l’élaboration d’un plan stratégique à long terme et la création d’ un organe national de normalisation de la e-santé.Il s’agit aussi d’établir des centres nationaux et des réseaux d’excellence pour les bonnes pratiques en matière de cyber santé, la coordination des politiques et le soutien technique pour la prestation des soins de santé, l’amélioration des services, l’information des citoyens, le renforcement des capacités et la surveillance et mettre en œuvre un système d’information de la santé.
Pour l’OMS, Les technologies mobiles ont le potentiel de jouer un rôle important dans l’avancement de la couverture sanitaire universelle.
« C’est l’un des rares canaux qui permettra d’améliorer la couverture et l’accès à la santé de la population sans investir massivement dans de nouvelles infrastructures.
En conséquence, la santé mobile est bien positionnée pour contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable liés à la santé prescrits par le Programme de développement durable à l’horizon 2030. », a rappelé M. Djaker au début du troisième panel suivi par la présentation de Dr. Petra Wilson (Docteur en philosophie en droit de la santé publique – Université d’Oxford, et directrice de Health Connect Partners, un cabinet de conseil spécialisé en e-santé) et Maître Isabelle Andoulsi (Avocate experte e-santé auprès de la Commission européenne et du Sénat de Belgique). Ces deux expertes sont revenues sur le cadre juridique de la e-santé et les bonnes pratiques. Des pratiques liées notamment aux principes applicables au traitement des données médicales: licéité;sécurité ; confidentialité ; portabilité…). Elles ont insisté sur la protection des données des patients et sur l’interopérabilité. Pour ces deux intervenantes, il est temps de saisir l’opportunité en assurant les conditions susceptibles de concrétiser la réussite des pratiques digitales dans un système de consentement.
Une vision stratégique s’impose
Aller à la télémédecine de manière graduelle structurée avec une vision stratégique, tels les messages clé de cette rencontre close par la présentation par Mme Fazia Graine, Directrice Générale de Sense Healthcare d’une enquête de terrain réalisée par le cabinet IMMAR sur la perception de la e- santé en Algérie. Une étude menéesur 1100 personnes (49% de femmes et 51 d’hommes tout le territoire national) a conclu que 74% des personnes interrogées souhaitent avoir un dossier médical électronique alors que le vœu de se connecter avec son médecin estexprimépar 72% de l’échantillon, objet de l’enquête. 67% d’entre eux aimeraient recevoir les résultats de leurs analyses via le courrier électronique. Toute fois, 80% ignorent totalement l’existence de la télémédecine. C’est à ce niveau que le travail est à faire. Les recommandations issues au terme des HDD vont dans ce sens. Elles se résument en douze points :
Recommandations : l’urgence d’un cadre réglementaire pour la télémédecine
– Définition d’un cadre éthique et réglementaire pour promouvoir et institutionnaliser la télémédecine.
– Création d’un organe national de normalisation de la e-santé.
– Elaboration d’un plan stratégique à long terme.
– Mise en place d’un système d’information de la santé.
– Promouvoir la collaboration multisectorielle.
– Développer les TIC au service de la santé selonles besoins des infrastructures.
– Développer une collaboration entre le secteur privé et les associations dans les TIC pour promouvoir les services publics de santé et recourir à la e-santé.
– Lancement du dossier médical informatisé, un point considéré comme l’une des clés de la réussite de ce type d’actions.
– Création de projets pilotes à l’exemple de la téléradiologie et la télédermatologie plus précisément dans les spécialités qui enregistrent un déficit en ressources humaines (spécialistes).
– Lancement d’un centre d’appel d’aide au management des urgences à mettre à la disposition des généralistes à travers le territoire national.
– Soutenir et développer les programmes de recherche dans la télémédecine.
– Redéfinir la hiérarchie des soins et mettre en exergue le rôle du médecin généraliste.
– Inscription de la formation en ligne dans le cursus de spécialisation.
– Réglementation et certification des outils de santé électroniques.