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Ryma Rouibi, enseignante-chercheure à l’ENSJSI d’Alger

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«Le seul bénéficiaire de toute cette situation est Benyamin Netanyahu»

Enseignante-chercheure à l’Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de
l’information d’Alger (ENSJSI), Ryma Rouibi s’intéresse au discours médiatique de la presse
israélienne. Dans cette interview elle revient sur les derniers événements qui secouent la Palestine
occupée. Ryma Rouibi livre une lecture pertinente sur les conséquences, tant politiques
qu’économiques, que subira l’occupant israélien.
Entretien réalisé par : Amine Idjer
e-Bourse : Comment expliquez-vous le fait que les Israéliens n’ont rien vu venir concernant
l’attaque des unités armées du Hamas ?
Ryma Rouibi : Je pense que la réponse à votre question exige une autre question : est-ce que les
services israéliens n’ont réellement rien vu venir ? Ou bien, ont-ils tout vu et laissé faire ? Personne
ne peut occulter la ruse politique de Benjamin Netanyahu, qui a toujours su exploiter les événements
politiques en sa faveur. A noter que la presse internationale a repris les déclarations des services de
renseignement égyptiens qui ont mis en garde Israël à plusieurs reprises contre le fait que le
Hamas préparait «quelque chose de très important», et que leurs interlocuteurs n’ont pas tenu
compte de cet avertissement. Faut-il aussi le rappeler : qui a créé le Hamas pour contrer l’OLP ?
Par ailleurs, Israël a été critiqué pour son extrémisme politique, l’opinion publique internationale,
jadis si solidaire avec Israël, n’a cessé de baisser. Benyamin Netanyahu a trouvé la formule adéquate
pour regagner la sympathie internationale, avec des monuments allumés avec le drapeau israélien
alors qu’il y a un an, il fallait économiser l’électricité et réduire la charge d’éclairage ! Secundo,
relégitimer la politique d’un gouvernement d’extrême droite d’apartheid, fasciste, avec ’’un mode
opératoire terroriste’’ !
L’offensive sans précédent du Hamas aura-t-elle des conséquences sur la société israélienne ?
Bien évidemment, il s’agit d’une société complètement déstructurée du point de vue sociétal. Il n’y a
que la guerre qui l’a toujours unie. Je pense que la gauche israélienne, qui d’ailleurs accuse
Netanyahu pour ce qui se passe actuellement à Ghaza, sera marginalisée davantage.
Dans son dernier article, le journaliste Gideon Levy, du quotidien Haaretz, avait soulevé un point
important : le fait «qu’Israël ne peut pas emprisonner tout un peuple sans payer en le prix».
Toujours dans le même quotidien, Amira Hass parle d’un retour au cercle de la vengeance ! La
conscience en Israël se limite à la gauche israélienne, mais sa voix ne résonnera pas pour autant !
Sur le plan militaire, il y aura forcément plus de demandes d’aide pour plus d’armement. Lors dudit
«printemps arabe», Israël a bénéficié d’une aide de 100 millions de dollars octroyée par
l’administration Obama. Je vous laisse imaginer le montant après la guerre qui se déroule
actuellement ! Sur le plan économique, la monnaie israélienne a chuté, ce qui a suscité ispo facto
l’intervention de la Banque centrale d’Israël sur le marché des changes pour atténuer la volatilité du
shekel.
Quelles seront les conséquences politiques de cette catastrophe ? Est-ce que cela provoquera
l’éclatement, voire la dissolution du gouvernement sioniste dirigé par Netanyahu ?
En quoi cela est-ce une catastrophe pour Israël ? C’est plutôt une catastrophe pour le peuple
palestinien, qui résiste en dépit de toutes les conditions inhumaines, un peuple qui n’a plus rien à
perdre. Le ministre israélien de la Défense, qui a qualifié le Hamas «d’animaux humains», a annoncé
l’imposition d’un «siège total» à la bande de Ghaza, où vivent 2,3 millions de Palestiniens. «Pas
d’électricité, pas d’eau, pas de gaz», c’est dire l’ampleur de la catastrophe qui attend le peuple
palestinien. Vous savez, il faut être doté d’une vision panoramique et je pense qu’il est plus
qu’impératif de comprendre Israël, voire le machiavélisme politique israélien, pour comprendre que

le seul bénéficiaire de toute cette situation jusqu’à l’instant c’est Benyamin Netanyahu. Avec ces
événements, Netanyahu pourra engranger des points, à savoir : 1- légitimer un gouvernement
extrémiste ; 2- faire taire la gauche israélienne ; 3- mettre définitivement fin au «Hirak» israélien ; 4-
gagner plus d’aide sur le plan économique et militaire. D’ailleurs, le quotidien Jerusalem Post (JPost)
de droite a titré son édito : «Le soutien naval américain à Israël est stratégiquement et
symboliquement nécessaire» ; 5- médiatiquement imposer Israël comme victime éternelle dans la
région ; donc regagner la sympathie de l’opinion publique internationale ; 6- la campagne médiatique
qui compare Hamas avec Daech-ISIS, sert à briser la perception de la résistance palestinienne et la
réduire encore une fois à des actes terroristes.
Quels sont les défis auxquels l’occupant sioniste est confronté suite à ces attaques ?
D’abord, il y a un changement manifeste des règles du jeu dans le conflit existentiel entre
Palestiniens et Israéliens. Un nouveau rapport de force s’installe. L’endurance de la résistance
palestinienne dont l’armée d’occupation, avec toute sa sophistication, n’en sera jamais dotée. Même
si le front interne est ressoudé, les Israéliens font face à un choc psychologique sans précédent, avec
un nombre de morts atteignant les 1200, et là, les séquelles seront durables.
Certains médias affirment que le Hamas se serait procuré des armes initialement destinées à
l’Ukraine et qui ont été fournies par des pays occidentaux. Qu’en est-il exactement ?
Si c’est le cas, l’unique responsabilité incombe aux Occidentaux qui ont inondé le marché mondial de
l’armement et en déversant littéralement des quantités impressionnantes d’armes sur le théâtre de
guerre ukrainien. D’ailleurs, des armes destinées à l’Ukraine se sont retrouvées, via des filières de
contrebande, en Afrique et au Sahel plus précisément. Donc, il n’est pas impossible que ce type
d’armes se retrouvent dans la région du Moyen-Orient.
Est-ce que l’après-catastrophe inversera la tendance au niveau de la classe politique israélienne,
plus encline au dialogue avec les Palestiniens, notamment avec l’Autorité palestinienne ?
Je ne le pense pas. Jusque-là, je n’ai noté aucune position claire de la part de l’Autorité palestinienne.
Netanyahu cherche justement à clore toute tentative de paix avec la Palestine. D’ailleurs, on ne peut
guère parler de paix après ce qui se passe. Du moins à très court terme. D’ailleurs, je m’interroge sur
les vagues de normalisations sans contrepartie et dont l’unique bénéficiaire n’est autre qu’Israël.
A. I.