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lundi, janvier 13, 2025

Purdue University, USA

La réussite des mesures fiscales dépend de leur incidence sur le pouvoir d’achat

« Si toutes ces mesures réussissent, il n’y a pas de raison que le pouvoir d’achat des salariés ne s’améliore pas car le gouvernement aurait un contrôle en amont et en aval de la chaîne », affirme le Professeur Arezki Ighemat, Ph.D in economics, Master of Francophone Literature (Purdue University, USA), qui estime « malheureusement, dans beaucoup de cas, ces mesures de type administratif ne sont pas suffisantes ». Il recommandera : « ce qu’il faudrait, c’est créer les conditions d’une économie basée sur les fondamentaux du marché, c’est-à-dire l’offre et la demande », dans cet entretien accordé à e-BOURSE, en attendant de trancher la question pour les retraités.

Propos reccueillis par Leila Zalmi

e-BOURSE : Qu’apporte de nouveau l’avant-projet de la Loi de Finances 2022 (APLF2022) ?

Arezki Ighemat : L’APLF 2022 innove sur plusieurs domaines dont voici les principaux : (1) le passage du système des subventions généralisées (non ciblées) à un système de subventions ciblées visant les catégories nécessiteuses de la population avec pour objectif d’établir une certaine équité sociale par des transferts monétaires directs à ces catégories; (2) réduction de l’IRG (Impôt sur le Revenu Global) d’une moyenne de 40% et exonération de l’IRG pour les salaires de moins de 30 000 DA; (3) augmentation du point indiciaire des travailleurs de la Fonction Publique; (4) mise en application d’un impôt sur la fortune; (5) création d’une Banque de l’Habitat; (6) établissement d’un précompte (droit de douane) de 2% sur les importations dont les recettes iront directement au budget de l’Etat; (7) application d’une amnistie sur les travailleurs du secteur informel en vue de « formaliser » ce dernier qui a l’obligation de s’identifier avant le 31 décembre 2022; (8) réduction de 10% de l’IBS (Impôt sur les Bénéfices des Sociétés) avec obligation pour les entreprises de réinvestir leurs bénéfices dans des activités productives: (9) introduction d’une allocation-chômage pour les personnes âgées entre 19 et 60 ans qui sera financée par les taxes sur les produits tabagiques; (10) nouvelles taxes sur les produits tabagiques et le sucre pour réduire la prise en charge par l’Etat des maladies provoquées par ces produits (maladies pneumoniques pour les tabacs et diabète pour le sucre); (11) la TVA va aussi désormais être étendue à d’autres activités (produits). Il faut dire que toutes ces mesures sont celles recommandées par la mission du FMI (Fonds monétaire international) lors de son séjour la semaine dernière en Algérie.

Il est question d’exonérer et de réduire l’IRG sur six catégories de salariés. Quelle faisabilité ?

A.Ighemat : L’exonération concerne la catégorie salariale qui touche moins de 30 000 DA. La baisse de l’IRG est de 2 500 à 3 500 DA pour la catégorie salariale ayant un salaire imposable brut entre 40 000 et 100 000 DA, ce qui correspond à une augmentation de salaire net de 5 à 10% environ. L’APLF 2022 prévoit aussi l’établissement d’un barème à 6 tranches salariales au lieu des 4 qui existaient avant. Pour les salaires ne dépassant pas 35 000 DA, il est prévu un abattement supplémentaire. Pour toutes les autres catégories salariales, l’IRG passe de 20-30% à un taux progressif de 15-25%. Quant au salaire non imposable qui était de 20 000 DA auparavant, il passe à un seuil inférieur de 10 000 DA. Techniquement, rien n’empêche la faisabilité de ces réductions et exonérations. Cependant, étant donnée la non maîtrise par l’Etat des fluctuations des prix sur le marché, le résultat peut être comme disent les anglo-saxons un « Zero-game » (ni gain ni perte) ou même un « Negative-game » (ou les salariés perdraient même après l’application de ces mesures).

Comment lit-on une fiche de paie ?

A.Ighemat : La fiche de paie est théoriquement simple à lire. Elle comporte un salaire brut et un certain nombre de déductions ou d’additions à ce revenu. Le salaire net est le salaire que perçoit le salarié une fois que toutes ces déductions et ces additions sont appliquées. C’est ce qu’on appelle, dans le jargon économique, le salaire monétaire ou nominal. Ce qui est compliqué, comme on le verra plus loin, c’est lorsqu’on passe à la notion de salaire réel ou de pouvoir d’achat.

Expliquez comment cela interviendra sur une fiche de paie.

A.Ighemat : Avec la réduction de l’IRG, qui rongeait jusqu’à maintenant une bonne partie du salaire, ou son exonération pour les salaires de moins de 30 000 DA, le salarié devrait normalement se retrouver avec un salaire net plus élevé, tout au moins en termes monétaires. Le vrai salaire—le vrai pouvoir d’achat—des salariés se mesure sur le marché où ils sont confrontés à des produits dont les prix ne cessent d’augmenter. Si les salaires monétaires ne permettent pas aux salariés d’acquérir les quantités de produits dont ils ont besoin pour leur existence et celle de leurs familles, on se trouve dans la situation que les économistes caractérisent de la façon suivante : « les salaires augmentent par l’escalier alors que les prix augmentent par l’ascenseur ». C’est alors une course sans fin entre les salaires et les prix.

Peut-on parler d’augmentation effective sur les salaires pour chaque catégorie ?

A.Ighemat : Pour savoir si les salariés toutes catégories confondues sont dans une meilleure situation après ces réductions ou exonérations, il faudrait, comme nous l’avons dit ci-dessus, faire la différence entre le salaire nominal—qui est le salaire versé aux salariés en monnaie—et le salaire réel, qui mesure effectivement le pouvoir d’achat des salariés. Cela signifie, en d’autres termes, qu’il ne faut pas  uniquement voir les augmentations ou réductions du salaire nominal, mais il faut aussi voir ce qui se passent du côté des prix, notamment des produits de consommation durables et non durables. Si les prix des produits augmentent à un taux plus élevé que les salaires, alors on est dans une situation d’illusion de bien-être.

Que doit savoir un salarié sur les différentes taxes à payer ?

A.Ighemat : Le système des taxes est un des systèmes les plus difficiles à comprendre, non seulement, d’ailleurs, pour les salariés Algériens mais dans la majorité des salariés de tous les pays, y compris les pays développés qui font des efforts—comme les Etats-Unis—de rendre lisibles toutes ces taxes. Demander donc aux salariés, notamment les illettrés d’entre eux, de maîtriser le calcul des taxes est un leurre. Ce qui doit intéresser les salariés, c’est si leurs salaires sont en mesure d’acheter la même quantité—ou une quantité plus grande—de produits avec le niveau de salaire monétaire qu’ils reçoivent.

Quelles conséquences sur le pouvoir d’achat ?

A.Ighemat : L’APLF 2022, comme on l’a vu, a prévu des abattements dans l’IRG et une exonération pour les bas salaires (moins de 30 000 DA). Elle a aussi prévu que des mesures seront prises pour contrôler les prix des produits sur le marché ainsi que des sanctions allant jusqu’à l’emprisonnement pour ce qu’elle considère comme des spéculateurs et qui sont comparés à de véritables « criminels ». Elle a, en outre, prévu de recycler les travailleurs du secteur informel vers le secteur formel, ce qui devrait, normalement, rendre possible le contrôle des prix dans ce secteur qui a tendance à pratiquer des prix exorbitants. Si toutes ces mesures réussissent, il n’y a pas de raison que le pouvoir d’achat des salariés ne s’améliore pas car le gouvernement aurait un contrôle en amont et en aval de la chaîne. Malheureusement, dans beaucoup de cas, ces mesures de type administratif ne sont pas suffisantes. Ce qu’il faudrait, c’est créer les conditions d’une économie basée sur les fondamentaux du marché, c’est-à-dire l’offre et la demande.

Quelle est la répercussion en matière de pensions de retraite ?

A.Ighemat : Les retraités sont une catégorie « d’anciens travailleurs » qui est la plus « mal-Traitée » en Algérie. Pendant toute la période où ils étaient « actifs », ils ont payé l’IRG et à un taux très élevé. En tant que retraités, l’Etat continue à ponctionner leurs pensions de retraite du même impôt. Il n’est pas encore clair si les mesures de réduction et d’exonération de l’IRG concerneront aussi les retraités. Si la réponse est oui, alors les pensions de retraite verraient une augmentation de leur valeur. Si la réponse est non, alors les retraités seraient encore plus mal-Traités et leur situation serait encore pire car ils ne pourraient plus faire face aux fluctuations importantes des prix sur le marché. Il faudrait donc attendre pour savoir si les pensions de retraite sont concernées ou non par ces mesures.

L.Z.

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