Plus de 4 millions de visiteurs y ont pérégriné pendant dix jours

Dans les allées de la plus grande bibliothèque du monde

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   Le public était là, quotidiennement, plus pour l’ambiance festif que pour les livres proprement dits ; livres d’enfants, scolaires, de contes, livres d’adulte, littérature classique, recueils de poésie, romans, essais, dicos et autres manuels ont encombré les étals des maisons d’édition présentes à la 27e Foire internationale d’Alger pendant une dizaine de jours.

   La 27ème Edition du Salon International du Livre d’Alger qui s’est étalée du 6 au 16 Novembre 2024 au Palais des Expositions des Pins Maritimes d’Alger, a pris fin samedi soir. Quatre millions de visiteurs étaient au rendez-vous avec les livres. Un chiffre qui en dit long sur cette dizaine de jours de réconciliation entre le lecteur et le vire, car, avouons-le, il y a une rupture grave et dangereuse entre l’un et l’autre depuis que la société de consommation a succombé aux attraits du tactile. Le livre numérique qu’on pensait qu’il pouvait colmater les brèches n’a pas tenu ses promesses ; en fait, l’humain est programmé pour prendre dans ses bras l’objet de son amour, à toucher le livre, à feuilleter, à tourner les pages et à avoir une relation « charnelle » avec son objet. Le livre tactile n’a pas ces caractéristiques, froid qu’il est comme la mort, apparaissant et disparaissant comme une ombre furtive, impossible de remplacer le livre papier.

   Le tout-numérique a tout chamboulé dans les habitudes des gens, de sorte que rares demeurent encore les familles qui consacrent un peu de leur tirelire à l’achat de livres. Au final, on ne lit plus, ayant désappris depuis longtemps à plonger du nez dans les livres.

   Les livres, comme les êtres humains…

   Le Salon International du Livre d’Alger a été une occasion pour opérer une manœuvre de réconciliation entre le citoyen et le livre imprimé. Les prix affichés étaient légèrement chers mais bon, on s’y habitue, avec la cherté du papier, la qualité de la jaquette et l’esthétique du produit.

   Les livres, comme les êtres humains, peuvent séduire par leur jaquette, ou étonner par leur contenu. Souvent la jaquette est belle, mais le contenu est fade, sans saveur ; ou, au contraire, parfois la jaquette est sans attrait, mais le contenu est extraordinairement fort et captivant.

   Les livres sont également comme les humains sous diverses coutures : il en est des braves, des couards, des généreux, des onéreux, dans héros, des rares, du n’importe quoi et des  exceptionnels. A vous de tomber sur le bon livre, à vous de trouver le bon ami. 

   La littérature classique était encore présente, mais ce sont surtout « la vielle école » qui en raffolent encore : pour les « américanistes », on pouvait trouver Edgar Poe et ses « Histoires extraordinaires », Hermann Melville et son Moby Dick, Nathaniel Hawthorne et sa « Lettre écarlate », ou plus récemment encore Ernest Hemingway, Faulkner, Steinbeck, etc. ; pour les amoureux de la littérature russe, il y avait là encore les deux géants de la littérature universelle, Léon Tolstoï et Fédor Dostoïevski, auteurs inoubliables de « Anna Karénine », « Guerre et Paix », « Crimes et Chatiments », « l’Idiot », « « les Frères Karamazov », etc.

   Hommes et femmes d’âge mur étaient aux aguets pour la littérature francophone : Zola, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Mallarmé, Proust, Gide, Camus, pour ne citer que les plus prisés.

    Le lectorat arabe était pourtant le plus consistant, l’école algérienne produisant depuis une vingtaine d’années plus d’arabisants. Et là on avait l’embarras du choix : les classiques de la poésie et de la critique étaient disponibles : Al Moutanabbi, Al Maârri, les Moualakat, Ibn Moukafaa, Al Jahiz, Al Bouhtouri, Abou Tammam ; les livres de la rhétorique aussi avec Al Jorjani et les maitres de tournures de style et des figures de rhétorique arabe.  

Les historiens arabes s’affichaient dans toute leur volumineuse littérature, un peu cher certes, mais un joyau à la maison et une référence pour tout étudiant, chercheur ou érudit : les « Prolégomènes », d’Ibn Khaldoun, « Al Kamil » d’Ibn al-Athir, « Histoire des nations et des Rois », d’al-Tabari, « la Bidaya » d’Ibn Kathir, ainsi que Al Makrizi, al-Nuwayri, l’« Histoire des Califes », de Suyuti, etc.

Al Moutanabbi : Vanitas vanitatum, omnia vanitas

Comme lors de son vivant, « Al Moutanabbi remplit le monde et occupe les hommes ». Sa poésie continue à bien se porter et à bien se vendre. Exactement lors de son vivant ; à croire que l’homme est indépassable, tout comme sa poésie et ses sentences.

Certes, l’ego surdimensionné d’al-Mutanabbi agace les plus fragiles, mais sa fierté a été la logique d’une attitude altière et probe en son temps. Al Moutanabbi n’avait rien mais voulait tout : richesse, rang, gloire. Il en avait les moyens, les épaules, l’expertise et l’ambition ; mais surtout, il était en quête de grandeur : « Il faut tout faire pour atteindre la grandeur quand on en a trouvé le chemin ». Il n’est pas né noble, et encore moins riche (c’est le fils d’un porteur d’eau), mais il s’acharne à s’instruire. Son ascension se fera via les seigneurs et princes, et par le plus grand d’entre eux aux yeux d’al-Mutanabbi: l’Émir  d’Alep de Syrie, Sayf al-Dawla al-Hamadani.

Lui qui court après d’insaisissables rêves

« Jusqu’à quand attendrai-je, impuissant, la grandeur ?

Quand l’atteindrai-je enfin ?

Jusqu’à quand devrai-je y renoncer, réduit à vendre des poèmes à des êtres incapables d’en estimer le prix ? »

Moutanabbi est pourtant très conscient de la vanité de toute chose et du peu de contrôle que l’homme exerce sur sa vie : « Que de fois, quand l’homme ne croit plus avoir à connaitre d’épreuves, voila qu’un malheur imprévu le frappe. »  ; le temps (ou le destin) venant à bout de toute ambition : « Où est celui qui a construit les pyramides ?

Et son peuple, où est-il ?

Quand est-il mort ? Et comment ?

Les œuvres survivent, un temps, à leurs créateurs,

Puis le néant les engloutit à leur tour. »

Plus de 1000 ans ont passé depuis ces vers. Les pyramides n’ont été pas oubliées. Al-Mutanabbi non plus.

Une clôture à la mesure de l’événement

C’est la ministre de la Culture et des Arts, Soraya Mouloudji qui a présidé, samedi soir, à Alger, la clôture de la 27e édition du Salon international du livre d’Alger (SILA), au Palais des expositions « SAFEX » (Alger), et a remis les prix aux lauréats du Prix du livre de jeunesse intitulé « Mon premier livre » et du Prix du « Meilleur stand » du salon.

Le Prix du livre de jeunesse « Mon premier livre », qui récompense les premières publications des jeunes auteurs de moins de 35 ans ayant publié leur premier livre en 2024, tous genres littéraires confondus, consiste en une attestation honorifique et une récompense financière de 500.000 DA.

Le comité a reçu « 81 œuvres créatives depuis l’ouverture des candidatures dans différents genres littéraires », comprenant des pensées, de la poésie, des romans, des nouvelles et des essais, la majorité des œuvres étant des romans, en arabe et en tamazight, d’un « niveau homogène, avec des thématiques variées, mêlant réalisme et fantaisie ».

Le prix dans la catégorie des langues étrangères n’a pas été décerné en raison du faible nombre de textes proposés et de leur non-conformité aux critères de participation.

Le stand de l’Etat du Qatar a remporté le prix du « Meilleur stand » du salon, et ses organisateurs ont été honorés. Ce stand a attiré les visiteurs grâce à son design unique inspiré des éléments de la culture et du riche patrimoine qatari, tout en intégrant des technologies modernes et de l’innovation, alliant ainsi tradition et modernité, selon les organisateurs du prix.

Le dernier jour du Salon a été marqué par une conférence en hommage à l’écrivain, journaliste et critique culturel Ameziane Ferhani, décédé fin décembre 2023.

Le 27e Sila, ayant coïncidé cette année avec le 70e anniversaire du déclenchement de la Guerre de libération, sous le slogan « Lire pour triompher », a vu l’organisation de plusieurs conférences sur différentes thématiques, et la participation d’exposants de 1007 maisons d’édition issues de 40 pays.

Dernière observation, importante pour être soulignée : les gens de l’intérieur du pays lisent plus que les habitants des villes du littoral, et achètent plus de livre. Les raisons peuvent être expliquées facilement, mais ce n’est pas là notre sujet, qui est le livre et la lecture des livres. L’observation méritait d’être rapportée. C’est fait.

Reportage réalisé par Fayçal Oukaci