Rect’Angle
Par Mohamed Mouloudj
Il faut vraiment (re) inventer une vie nocturne dans nos villes. Depuis des décennies, nos villes sont devenues des no man’s land. Des zones inhabitées et des lieux vides. Pas âme qui vive dès que le soleil décline à l’horizon. La course commence tôt. C’est l’empressement vers chez soi. Courir pour se réfugier, se coucher et s’enfuir. Sur les chapeaux de roues, rapidement et avec célérité pour se cacher. Fuir aussi vite que possible sa ville. Quitter le dehors et laisser le vide. Les gens se pressent le pas. Ils ne veulent pas arriver en retard à leur destination. Qu’elle destination ? Personne ne le sait vraiment. Ils courent pour fuir un lieu. Ils n’ont pas de destination. La seule étant chez eux. Ils fuient un autre chez eux, leur ville. Ils se retirent de ce dehors. Ils s’effacent de ce lieu commun, disparaître de ces voies publiques, délaisser ces jardins et ces rues dont ils sont le propriétaire unique, pourtant. On quitte la ville pour se réfugier dans ses tréfonds. Mais dans des profondeurs barricadées, des logements cernés et des maisons hautement sécurisées et protégées. Ce chez soi barreaudé et surveillé. Ce chez soi séparé du dehors. Isolé et détaché de l’extérieur. Les regards perdus, souvent stupéfaits et curieux. Silencieux et pensifs sont les gens de nos villes à la tombée de la nuit. La peur au ventre. Impossible de supporter cette vie nocturne en dehors de chez soi. La peur de ne pas quitter la ville à temps. De ne pas fuir ce dehors devenu l’ogre. On le craint par-dessus tout. On n’est jamais rassuré la nuit à l’extérieur. Ce dehors synonyme de risques, d’insécurité et de dangers. Ce dehors qu’on a toujours hâte de fuir, de quitter et d’abandonner. Ce dehors obscur, nuiteux et périlleux. Ce dehors vu comme un étranger, comme un inconnu. Un inconnu qu’on ne veut pas connaître. Qu’on ne veut plus découvrir. Pas de sorties nocturne. Point de restaurant et jamais de rencontres nocturnes. Des villes sans âmes et des lieux inanimés. Des villes qui ne renaitront qu’avec le soleil, mais elles finiront par sombrer encore quelques heures plus tard dans une mort cyclique, un coma intermittent. Qu’est ce que les gens craignent-ils ? Personne ne peut répondre. Ils ont peur d’eux-mêmes, puisque c’est eux qui occupent ce même espace le lendemain. C’est eux, pourtant les maîtres durant les journées. Ils ont peur de d’affronter la nuit. Ils ont peur de se découvrir, de se voir vivre sous les étoiles, de voir la vie se prolonger au-delà des heures de l’administration. Ils ont peur de vivre aussi longtemps dehors, à l’extérieur, même près de chez eux. Ils ne veulent pas animer cet espace commun. Ils ne peuvent pas lui donner l’âme et l’apprivoiser. Ils ne savent pas le fructifier, le sécuriser et l’adopter. En faire sienne cette vie nocturne. Occuper sa ville, balader dans ses rues et errer sans jamais s’arrêter dans sa cité. Réinventer cette vie. Pousser les horloges, arrêter le temps et ouvrir les cœurs. Eclairer de vie nos sombres nuits, c’est vivre intensément. C’est finalement vivre tout simplement !