Propos recueillis par Fayçal Oukaci
Mohamed Ghafir est un des héros de la Révolution algérienne, un des initiateurs du 17 octobre 1961 à Paris et un auteur-témoin privilégié de ces sanglants événements qui ont marqué la Révolution et annoncé sa fin imminente. Il était connu durant la guerre d’Algérie sous le pseudonyme de « Moh Clichy » en référence à la place Clichy à Paris où il habitait.
Le moudjahid était hôte d’une émission spéciale sur Essalem TV, durant laquelle il a vidé son cœur et fait appel à sa mémoire malgré son âge avancé (91 ans).
« Un des miracles de la Révolution algérienne est d’avoir transposé la guerre de l’Algérie au cœur des territoires de l’ennemi, Paris, et l’avoir vaincu sur son propre sol. J’estime que c’est un cas unique dans les annales des guerres modernes. D’ailleurs le général Giap, lui-même héros de la guerre d’Indochine en faisant souvent référence comme étant un cas d’école dans les guerres modernes ».
« Les événements d’Octobre 1961 ont été l’aboutissement de longs développements politiques. En 1955, il s’installe à Clichy, d’où son sobriquet « Moh Clichy » et comment son action politique pour la Fédération FLN de France.
« Notre action à Paris était éminemment surveillée en France par la police, à tel point que la France à déployé 500 harkis à Paris pour noyauter notre action et percer nos secrets politiques à jour. Ces harkis s’infiltraient dans les cafétérias, les cités et les places fréquentées par la communauté algérienne pour pénétrer l’action de la Fédération FLN en France. Mais nous avons vite fait de les en dissuader en éliminant une bonne partie de ces harkis.
« C’est vous dire que c’était un combat à mort sur le sol français. Il fallait le faire et on l’a fait.
«A cette époque, j’étais en France et dans chaque quartier nous avons organisé des fêtes, des rassemblements pour exprimer notre joie de la victoire.» A partir de cette date, les Algériens établis en France ont commencé à rejoindre le pays. «J’ai regagné l’Algérie en septembre 1962 où j’ai retrouvé ma famille qui m’a reçu avec des youyous.» Moh Clichy a rappelé l’apport de la Fédération du FLN de France dans la lutte de libération. «Nous avons combattu l’ennemi chez lui. Notre révolution a été financée en grande partie par l’émigration dont la contribution, d’après les statistiques du GPRA, a constitué 80 % du budget de la guerre.»
« En 1958, il est arrêté par la DST française pour ses activités subversives à 3 ans d’emprisonnement. « Pendant plusieurs jours je suis torturé pour m’extraire des aveux sur mes chefs, pour livrer des noms et donner en pâture mes compagnons d’armes. Comme vous le savez, la Révolution nous a interdit de connaitre les noms exact, on ne s’appelle que par des pseudonymes, donc je ne faisais que livrer des noms sans valeur, des contenants sans contenus.
Cette période est un des plus douloureuses de la vie de Moh Clichy, non pas uniquement par qu’il a été cueilli par la Direction de la sécurité du Territoire, et jeté en prison pour trois longues années, mais parce que durant ces années de détention il a perdu sa mère qu’il n’avait plus revu depuis son incorporation forcée au service militaire. « Oui, j’en garde un douleur vive. D’ailleurs mon livre en parle (son livre témoignage intitulé « Ma douleur »)
Reconnaissant envers les réseaux français amis de la Révolution, Moh Clichy est catégorique : « l’apport des « porteurs de valises » est indéniable. Beaucoup d’intellectuels, dont Jean-Paul Sartre, étaient avec nous. On leur remettait des valises bourrées d’argent qu’ils faisaient passer de pays en pays, les remettant à nos directions, en Europe ou à l’étranger, puisqu’ils pouvaient voyager en tant que Français sans risque d’être arrêtés, et nous pourvoyaient également en armes qu’ils cachaient dans ces valises. Ils ont été pour aide d’une aide précieuse ».
« Les événements du 17 octobre sont venus dans leur suite logique de la guerre. Avant cela, nous avions ciblé les installations gazières et pétrolières en France et pu paralyser toute la France, puisque les machines, les voitures et les camions restaient cloués au sol.
« La volonté de braver une seconde fois l’injuste interdiction pour les Algériens de sortir après 20 heures (il y eu une première que nous avions « cassé ») était une directive de la Révolution, et ordre était venu d’Algérie pour sortir tous, hommes, femmes, enfants, petits, grands et grabataires pour démontrer à la France et au monde que nous sommes un peuple de combat ».
« La suite est connu dans ses grandes lignes : une répression horrible, des assassinats, des pendus au fil de fer aux bois de Boulogne et de Vincennes, des brulés vifs à l’essence, des gens jetés et noyés à la Seine : toute la panoplie répressive et criminelle de la France a été mise à contribution pour casser la Révolution portée à Paris.
« Mais il était dit que la victoire était de notre côté, car juste après la France engageait des négociations et il était clair que l’indépendance n’était qu’une question de jours.
« Je peux même dire que si le 1er Novembre était le commencement de la Révolution, le 17 octobre en était la fin et l’annonciateur de l’indépendance ».
La Fédération de France du FLN voulait que les manifestations du 17 octobre 1961 soient un tournant décisif dans l’itinéraire de la Guerre de libération, malgré les pratiques barbares infligées aux Algériens par les éléments de la police française cette nuit-là, au cours de laquelle de nombreux manifestants ont été jetés dans la Seine dans des scènes tragiques qui s’inscrivent dans une logique de guerre génocidaire, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
Pour Moh Clichy, « les manifestations des Algériens sur le sol français ont brouillé les cartes des autorités coloniales et furent un acquis stratégique pour la Guerre de libération et pour la lutte armée, car ces manifestations ont prouvé l’habileté des chefs révolutionnaires et leur capacité à mobiliser tout le peuple algérien non pas uniquement pour défendre son territoire et recouvrer sa liberté et sa souveraineté, quel qu’en soit le prix, mais aussi à porter la guerre sur le sol du colonisateur « .
A partir de cette date, les Algériens établis en France ont commencé à rejoindre le pays. «J’ai regagné l’Algérie en septembre 1962 où j’ai retrouvé ma famille qui m’a reçu avec l’émotion que vous pouvez deviner.»
Et de rappeler encore une fois, car il s’agit d’un rappel qui doit rester graver dans les mémoires algériennes : « Nous avons combattu l’ennemi chez lui. Notre révolution a été financée en grande partie par l’émigration dont la contribution, d’après les statistiques du GPRA, a constitué 80 % du budget de la guerre».