Par Yacine Merzougui
L’histoire a cette particularité de se répéter, non pas exactement de la même manière, mais avec une étrange symétrie qui force à réfléchir. La Conférence de Yalta, en 1945, fut un moment où trois grandes puissances tracèrent l’avenir du monde sans consulter ceux dont elles décidaient du destin. Aujourd’hui, dans ce que l’on pourrait appeler Yalta 2.0, nous assistons à une nouvelle partition géopolitique, où les mêmes dynamiques semblent reprendre leurs droits. Mais si les erreurs des grandes puissances sont indéniables, il serait injuste de négliger les propres égarements des Européens dans cette affaire ukrainienne.
Comme lors de la conférence historique de 1945, les négociations actuelles entre Donald Trump et Vladimir Poutine sur l’Ukraine soulèvent des questions cruciales sur la place des petits États face aux ambitions des grands. L’exclusion apparente de l’Union européenne des discussions est certes une offense diplomatique, mais elle ne doit pas masquer une réalité plus complexe :
l’Europe elle-même a contribué à créer les conditions de cet isolement.
Les erreurs européennes dans la gestion de la crise ukrainienne sont nombreuses et méritent d’être rappelées. D’abord, il y eut une certaine naïveté stratégique dans l’approche initiale de l’élargissement de l’Union vers l’est. En encourageant trop rapidement l’Ukraine à choisir entre Bruxelles et Moscou, l’Europe a exacerbé les tensions régionales sans proposer de véritable solution durable. Cette politique a donné prétexte à la Russie pour intervenir militairement, justifiant ses actions par une rhétorique de protection de ses intérêts stratégiques.
Ensuite, l’Union européenne s’est souvent montrée divisée et inefficace dans sa réponse à la crise. Les divergences internes entre ses membres ont affaibli sa position sur la scène internationale, rendant ses déclarations et sanctions moins crédibles aux yeux de la Russie. Cette faiblesse structurelle a permis à Moscou de jouer habilement les alliances, tout en marginalisant davantage encore l’Europe dans les discussions cruciales.
L’Ukraine, prise entre deux feux, symbolise parfaitement les contradictions de notre époque. Elle aspire légitimement à une souveraineté pleine et entière, mais se trouve piégée dans un jeu géopolitique bien plus vaste qu’elle ne peut contrôler. Si certains critiquent l’éviction de l’Europe des négociations, il convient aussi de reconnaître que l’Ukraine elle-même n’a jamais été traitée comme un partenaire égal par aucune des parties impliquées. Que ce soit Moscou ou Washington, chacun poursuit avant tout ses propres objectifs, souvent au détriment des aspirations locales.
Cependant, il serait réducteur de voir cette situation uniquement à travers le prisme de l’injustice infligée à l’Ukraine ou à l’Europe. La crise actuelle est le résultat d’une accumulation de malentendus, d’ambitions croisées et de calculs stratégiques erronés. Les Européens, en particulier, auraient dû mieux anticiper les réactions russes et adopter une approche plus nuancée, capable de concilier sécurité collective et respect de la souveraineté nationale.
Si Yalta 2.0 reflète les anciennes pratiques de division et de domination, elle offre également une chance de redéfinir les relations internationales. Face aux défis contemporains – guerre, migrations, changements climatiques –, les nations doivent abandonner leur logique de rivalités stériles pour privilégier une coopération sincère. Cela passe nécessairement par une reconnaissance mutuelle des intérêts légitimes de toutes les parties concernées, y compris ceux des petites nations souvent sacrifiées sur l’autel des grandes puissances.
Yalta 2.0 n’est pas seulement une tragédie pour ceux qui se trouvent marginalisés, c’est aussi un appel à la responsabilité collective. Les grandes puissances doivent cesser de traiter les petits États comme des pions sur un échiquier mondial. Mais les Européens, eux aussi, doivent assumer leurs propres responsabilités dans la création et la gestion de cette crise.
Car si l’histoire aime à se répéter, elle laisse toujours une marge pour l’apprentissage. Et c’est peut-être là que réside la dernière chance de l’Europe.
Y.M.