Réserves monétaires internationales
Par Yacine Merzougui
J’ai travaillé sur les bilans de la Banque d’Algérie, de janvier à novembre 2024, pour extraire les éventuelles variations des avoirs de l’Algérie en Droits de Tirage Spéciaux (DTS), un sujet méconnu des algériens. Ces DTS constituent une part importante dans le bilan de la Banque Centrale du pays. J’espère que ce document pourrait servir de travail de base pour les étudiants et chercheurs en finance.
Les droits de tirage spéciaux (DTS) détenus par la Banque d’Algérie ont enregistré une diminution faible de 7,9 milliards de dinars seulement entre janvier et novembre 2024, passant de 574,564 milliards DA à 566,656 milliards DA. Cette évolution reflète les ajustements de l’institution monétaire dans la gestion de ses réserves internationales face aux fluctuations économiques mondiales. La trajectoire de ces avoirs montre les dynamiques complexes des finances internationales algériennes au cours d’une année marquée par l’instabilité géopolitique globale.
L’analyse mensuelle des données de la Banque d’Algérie révèle une tendance générale stable des DTS, avec quelques fluctuations significatives. En janvier 2024, les droits de tirage spéciaux s’établissaient à 574,564 milliards DA, atteignant leur point le plus bas en novembre à 566,656 milliards DA. Cette diminution de 1,38% sur onze mois contraste avec la relative stabilité observée les années précédentes. Le premier trimestre de 2024 a été caractérisé par une érosion progressive des DTS. Après janvier, les avoirs ont fléchi à 573,373 milliards DA en février, puis à 572,166 milliards DA en mars, marquant une perte cumulée de 2,398 milliards DA. Cette tendance baissière s’est accentuée en avril avec un recul supplémentaire à 569,313 milliards DA, soit une contraction de 2,853 milliards DA par rapport à mars. Le mois de mai a marqué un léger redressement, les DTS remontant à 572,945 milliards DA, gagnant 3,632 milliards DA par rapport au mois précédent. Cette amélioration temporaire s’est toutefois estompée en juin, avec un nouveau recul à 569,620 milliards DA. L’été a apporté une volatilité accrue, juillet enregistrant une hausse substantielle à 583,278 milliards DA, le niveau le plus élevé de l’année après janvier. Cette progression de juillet, représentant un gain de 13,658 milliards DA en un mois, témoigne des opérations d’ajustement menées par la Banque d’Algérie pour optimiser ses positions en devises internationales. Les DTS, créés par le Fonds monétaire international comme actif de réserve supplémentaire, constituent un instrument privilégié pour les banques centrales dans leurs stratégies de diversification monétaire.
Août a confirmé la tendance positive avec 585,153 milliards DA, marquant le pic annuel des DTS algériens. Cette progression de 1,875 milliard DA par rapport à juillet montre la politique active de la Banque d’Algérie en matière de gestion des réserves. Cependant, cette dynamique haussière s’est interrompue dès septembre, les DTS chutant à 582,167 milliards DA. Le dernier trimestre de 2024 a été marqué par une dégradation continue des positions en DTS. Octobre a enregistré une baisse significative à 575,045 milliards DA, perdant 7,122 milliards DA en un mois. Cette contraction s’est poursuivie en novembre avec 566,656 milliards DA, soit une diminution supplémentaire de 8,389 milliards DA. L’évolution des DTS algériens s’inscrit dans un contexte international complexe, marqué par les
tensions géopolitiques, l’inflation mondiale et les politiques monétaires restrictives des principales banques centrales. Ces facteurs influencent directement la valeur et l’utilisation des droits de tirage spéciaux dans les stratégies de réserves des pays émergents.
La gestion des DTS par la Banque d’Algérie révèle également l’impact des fluctuations du panier de devises qui compose ces droits de tirage. Constitué du dollar américain, de l’euro, du yuan chinois, du yen japonais et de la livre sterling, ce panier subit les variations des taux de change internationaux. Les mouvements observés en 2024 reflètent partiellement ces ajustements automatiques liés aux parités monétaires.
Les autorités monétaires algériennes utilisent les DTS comme instrument de stabilisation et de diversification de leurs réserves internationales. Ces avoirs complètent les réserves en devises traditionnelles et offrent une alternative aux fluctuations des monnaies individuelles. La baisse observée en 2024 peut s’expliquer par des besoins de liquidités en devises fortes ou par des réallocations stratégiques des réserves. L’analyse comparative avec les autres composantes des réserves internationales algériennes montre que les avoirs en devises ont également fluctué significativement au cours de la période. Cette corrélation suggère une approche coordonnée dans la gestion globale des réserves externes du pays. Les implications de cette évolution des DTS dépassent le cadre purement technique de la gestion monétaire. Elles reflètent les ajustements nécessaires face aux pressions sur la balance des paiements et aux besoins de financement de l’économie nationale. La Banque d’Algérie maintient ainsi sa capacité d’intervention sur les marchés des changes tout en préservant la stabilité du dinar. Cette dynamique des droits de tirage spéciaux intervient dans la stratégie de l’Algérie de diversification de ses partenariats économiques internationaux, notamment avec les économies émergentes. L’utilisation optimale de ces instruments financiers internationaux demeure un enjeu stratégique pour la souveraineté monétaire du pays.
Tableau comparatif des avoirs en DTS 2024
Mois /Avoirs en devises (Milliards DA)/ Variation mensuelle (Milliards DA) /Variation en %
Janvier / 807,308 – –
Février 781,305 -26,003 -3,22%
Mars 756,330 -24,975 -3,20%
Avril 784,662 +28,332 +3,75%
Mai 887,915 +103,253 +13,15%
Juin 872,504 -15,411 -1,74%
Juillet 868,163 -4,341 -0,50%
Août 792,417 -75,746 -8,73%
Septembre 927,263 +134,846 +17,02%
Octobre 986,627 +59,364 +6,40%
Novembre 898,302 -88,325 -8,95%
La progression globale de 11,31% entre janvier et novembre traduit néanmoins une amélioration de la position externe de l’Algérie. Cette performance positive, malgré les turbulences conjoncturelles, démontre la robustesse fondamentale de l’économie algérienne et l’efficacité des politiques de change menées par la Banque d’Algérie dans un environnement international complexe.
Y. M
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Rôle stratégique des DTS
La stabilité monétaire exprimée autrement
Parmi les outils les plus méconnus du système financier international, les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) occupent une place singulière. Créés en 1969 par le Fonds Monétaire International (FMI), ils constituent une réserve internationale artificielle destinée à compléter les réserves officielles des États membres. En Algérie comme ailleurs, leur attribution périodique suscite un intérêt croissant, notamment en période de crise économique ou de pression sur les devises étrangères. Ces droits, bien que n’ayant pas le statut juridique d’une monnaie nationale, jouent un rôle important dans la gestion des liquidités internationales et la stabilisation des balances des paiements.
Le fonctionnement des DTS s’apparente à un mécanisme d’assurance collective. Leur valeur est basée sur un panier composé de cinq grandes monnaies : le dollar américain, l’euro, le yen japonais, la livre sterling et le yuan chinois. Ce panier est réévalué tous les cinq ans par le FMI pour refléter l’importance relative de ces devises dans le commerce mondial. Les pays membres du FMI reçoivent des DTS en proportion de leurs quotas au sein de l’institution. Plus un pays dispose d’un quota élevé, plus il bénéficie d’une allocation importante en DTS. En août 2021, le FMI a procédé à une allocation générale de DTS estimée à 650 milliards de dollars, la plus grande jamais réalisée dans l’histoire de l’institution. Cette décision, prise en réponse aux fortes pressions économiques liées à la pandémie de Covid-19, a permis à plusieurs pays de renforcer discrètement leurs réserves sans avoir à contracter de nouvelles dettes ni à puiser dans leurs réserves en devises. L’une des particularités des DTS est qu’ils ne requièrent aucune contrepartie immédiate. Contrairement à un emprunt classique, leur octroi ne génère pas de dette directe ni d’intérêts à court terme. Ils sont simplement inscrits au passif
des banques centrales comme une ressource excédentaire pouvant être utilisée à différents niveaux. Certains pays les mobilisent pour soutenir leurs réserves de change, d’autres les affectent à des projets de développement ou de relance économique. L’Algérie, elle, a privilégié jusqu’à présent une approche prudentielle, les intégrant principalement dans la gestion globale de ses réserves internationales.
Cependant, leur utilisation reste encadrée. Les DTS sont normalement destinés à des transactions entre États ou avec le FMI lui-même. Un pays ne peut pas les utiliser directement pour payer ses fournisseurs étrangers ou solder ses importations courantes. Pour cela, il doit les convertir en devises traditionnelles via des accords bilatéraux ou des opérations sur le marché interbancaire. C’est dire l’importance de disposer d’un réseau de partenaires prêts à accepter les DTS en échange de liquidités en devises fortes. Dans ce sens, les placements en DTS offrent un levier supplémentaire dans les relations financières internationales, mais limitent aussi leur usage si les canaux de conversion sont peu développés.
Les DTS ont également un impact indirect sur la politique monétaire nationale. Lorsqu’une banque centrale reçoit une allocation en DTS, elle doit nécessairement compenser cet afflux de réserves pour éviter une augmentation inopinée de la masse monétaire. En d’autres termes, cette injection externe de liquidités exige souvent des opérations d’absorption sur le marché local afin de maintenir la stabilité des taux d’intérêt. En Algérie, où l’économie reste largement contrôlée et où les instruments de régulation monétaire sont encore en consolidation, cette adaptation post-allocation demeure un défi technique autant que stratégique. Sur le plan géopolitique, les DTS se situent à l’intersection des intérêts nationaux et des impératifs du multilatéralisme. Bien que leur création relève d’une logique coopérative, leur distribution favorise naturellement les grands contributeurs du FMI, capables de peser sur les décisions stratégiques de l’institution. Les pays en développement, quant à eux, bénéficient d’avantages ponctuels mais restent tributaires des politiques macroéconomiques définies par les puissances dominantes. L’Algérie, qui figure parmi les économies intermédiaires, utilise les DTS comme un instrument de précaution, tout en surveillant de près l’évolution des règles de gouvernance du FMI.
Depuis leur introduction, les DTS ont connu plusieurs ajustements. Initialement conçus comme une alternative potentielle à l’or et au dollar dans les réserves monétaires internationales, ils sont progressivement devenus un outil de stabilisation d’appoint. Leur rôle s’est affirmé particulièrement lors des crises majeures : en 1970, au sortir de la fin du système de Bretton Woods ; en 1997, face à la crise asiatique ; en 2009, après l’effondrement de Lehman Brothers ; et plus récemment en 2021, lors de la pandémie. À chaque fois, ils ont permis de soulager temporairement la pression sur les systèmes financiers fragilisés. Leur faible visibilité médiatique ne doit pas masquer leur importance stratégique. En Algérie, les DTS apparaissent comme une manne silencieuse, rarement évoquée publiquement mais activement intégrée dans les calculs de trésorerie internationale. Leur existence rappelle que la finance moderne repose sur des mécanismes complexes, parfois invisibles aux yeux du grand public, mais essentiels pour assurer la continuité des flux financiers entre nations. Leur gestion prudente par la Banque d’Algérie montre une volonté de maîtriser les outils de la diplomatie économique sans tomber dans les travers de la spéculation effrénée.
À long terme, les DTS pourraient jouer un rôle accru dans la transition vers une monnaie internationale multipolaire. Certains économistes plaident même pour étendre leur utilisation à des transactions commerciales ou des investissements directs entre pays membres. Une telle évolution nécessiterait toutefois une refonte profonde du système actuel, ainsi qu’un consensus international
difficile à atteindre. En attendant, les DTS restent un instrument discret mais précieux dans la boîte à outils des banques centrales, garantissant souplesse et sécurité dans un monde financier en perpétuelle recomposition.
Y.M
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Les réserves en DTS de la Banque d’Algérie
Une progression constante et des fluctuations du total actif
Les droits de tirage spéciaux (DTS) détenus par la Banque d’Algérie ont connu une évolution remarquable entre 2018 et 2024, passant de 147,5 milliards de dinars à 572,2 milliards de dinars en mars 2024. Cette progression spectaculaire de près de 288% contraste avec une croissance plus modérée du total actif de l’institution monétaire, révélant une stratégie délibérée de diversification des réserves extérieures du pays.
L’analyse des données statistiques de la Banque d’Algérie révèle une transformation profonde de la structure des avoirs extérieurs entre 2018 et 2024. Alors que le total actif de la banque centrale oscillait entre 13 830,8 milliards de dinars en 2020 et 18 992,8 milliards de dinars en juillet 2023, les avoirs en DTS ont suivi une trajectoire ascendante quasi continue, particulièrement prononcée à partir de 2020. En 2018, les DTS ne représentaient que 147,5 milliards de dinars sur un total actif de 15 528,3 milliards, soit moins de 1% des avoirs totaux. Cette proportion relativement faible s’explique par la politique monétaire de l’époque, qui privilégiait d’autres instruments de réserve, notamment l’or qui se maintenait à 1,1 milliard de dinars de manière constante tout au long de la période étudiée.
L’année 2019 marque le début d’une évolution notable avec un maintien des DTS à 147,8 milliards de dinars, tandis que le total actif diminuait légèrement à 14 769,7 milliards. Cette stabilité relative masquait déjà les prémices d’une réorientation stratégique qui allait s’amplifier dans les années suivantes.
La véritable rupture intervient en 2020, année charnière où les avoirs en DTS bondissent à 171,4 milliards de dinars. Cette augmentation de 16% survient dans un contexte économique international bouleversé par la pandémie de Covid-19, qui a poussé de nombreuses banques centrales à diversifier leurs réserves et à recourir davantage aux mécanismes du Fonds monétaire international. Le total actif de la Banque d’Algérie atteignait alors son niveau le plus bas de la période à 13 830,8 milliards de dinars. L’accélération se confirme en 2021 avec un triplement des avoirs en DTS qui atteignent 543,4 milliards de dinars, représentant désormais 3,4% du total actif de 15 941,5 milliards. Cette explosion s’inscrit dans le cadre de l’allocation générale de DTS décidée par le FMI en août 2021,
la plus importante de l’histoire de l’institution avec 650 milliards de dollars distribués aux pays membres pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie. L’année 2022 consolide cette tendance avec des DTS s’établissant à 582,1 milliards de dinars, tandis que le total actif progresse significativement à 17 998,4 milliards. Cette période correspond à une phase de reconstitution des réserves de change algériennes, favorisée par la remontée des prix des hydrocarbures sur les marchés internationaux. L’évolution mensuelle de 2023 illustre la relative stabilité atteinte par les avoirs en DTS, oscillant entre 572,0 milliards en octobre et 581,5 milliards en juillet. Cette stabilisation intervient alors que le total actif de la Banque d’Algérie connaît des variations plus importantes, culminant à 18 992,8 milliards en juillet avant de redescendre à 18 801,9 milliards en décembre. Les premiers mois de 2024 confirment cette tendance avec des DTS maintenues autour de 572- 574 milliards de dinars. En mars 2024, les 572,2 milliards de DTS représentent environ 3,1% du total actif de 18 350,1 milliards, témoignant d’une intégration durable de cet instrument dans la politique de réserves de la banque centrale. Cette évolution s’inscrit dans une stratégie plus large de modernisation de la gestion des réserves extérieures algériennes. Historiquement, l’Algérie a longtemps privilégié la détention de devises traditionnelles, principalement le dollar américain et l’euro, pour constituer ses réserves de change. L’augmentation substantielle des avoirs en DTS traduit une volonté de diversification et de réduction des risques liés aux fluctuations des principales monnaies internationales.
La progression des avoirs en DTS de la Banque d’Algérie reflète également l’évolution du rôle de l’Algérie au sein du système monétaire international. Membre du FMI depuis 1963, le pays a progressivement accru sa participation aux mécanismes multilatéraux de financement et de stabilisation monétaire. L’analyse comparative avec d’autres postes du bilan révèle que seuls les avoirs en devises ont connu une progression comparable, passant de 9 384,8 milliards de dinars en 2018 à 8 799,1 milliards en mars 2024, soit une évolution plus erratique marquée par une baisse significative en 2020-2021 avant une reprise partielle. Cette montée en puissance des DTS dans les réserves algériennes s’accompagne d’une relative stabilité des autres composants des avoirs extérieurs. Les accords de paiements internationaux se maintiennent à 0,5 milliard de dinars tout au long de la période, tandis que les réserves d’or demeurent inchangées à 1,1 milliard.
Tableau comparatif de l’évolution des DTS et du total actif (2018-2024)
Année/Mois Total Actif (Mds DA) Avoirs en DTS (Mds DA) Part des DTS (%)
2018 15 528,3 147,5 0,95
2019 14 769,7 147,8 1,00
2020 13 830,8 171,4 1,24
2021 15 941,5 543,4 3,41
2022 17 998,4 582,1 3,23
2023 (déc.) 18 801,9 579,4 3,08
2024 (mars) 18 350,1 572,2 3,12
Cette évolution traduit une maturité croissante de la politique monétaire algérienne et son adaptation aux standards internationaux de gestion des réserves. Elle montre également la capacité d’adaptation de la Banque d’Algérie face aux transformations du système monétaire international et aux nouveaux instruments mis à disposition par les institutions multilatérales.
Y.M