«Le secteur nécessité de la modernisation et de la rationalisation»

Sghiri Abdelmadjid, membre du bureau exécutif de l’Union des Ingénieurs agricoles algériens

0
Sghiri Abdelmadjid, membre du bureau exécutif de l’Union des Ingénieurs agricoles algériens
Sghiri Abdelmadjid, membre du bureau exécutif de l’Union des Ingénieurs agricoles algériens

Depuis quelques années, l’Union des Ingénieurs agricoles algériens (UIAA) multiplie les initiatives pour moderniser le secteur.

Parmi ces actions, les caravanes de sensibilisation et d’orientation se démarquent comme un outil innovant pour atteindre les agriculteurs directement sur le terrain.

Dans cet entretien, M. Sghiri Abdelmadjid, membre du bureau exécutif de l’UIAA dévoile les dessous de ses initiatives et évoque plein d’autres sujets. De la première caravane agricole lancée en 2021 à la récente expédition ciblée à El Oued en 2023, retour sur une expérience qui pourrait transformer le paysage agricole du pays.


Propos recueillis par Sonia Hamoumraoui E-Bourse :

depuis quand existe l’Union des ingénieurs agricoles algériens(UIAA), et quelle est sa mission principale ?


Sghiri Abdelmadjid : Le secteur agricole a évolué de manière significative ces dernières années, en tant qu’ingénieurs agricoles, il était crucial pour nous de suivre et d’accompagner ce mouvement. L’Union des Ingénieurs Agricoles a vu le jour en 1995, avec pour vocation d’accompagner le développement du secteur agricole en Algérie. Toutefois, au départ, ses activités se limitaient à des démarches administratives et à des campagnes de sensibilisation en salles de conférences, rendant difficile l’accès direct aux agriculteurs, souvent
absorbés par le travail sur le terrain. Vous avez mentionné que les campagnes de sensibilisation étaient souvent limitées aux salles de réunion.

Comment avez-vous modifié cette approche ?


Effectivement, pendant longtemps, nos campagnes se limitaient à des réunions en salle, ce qui ne permettait pas de toucher efficacement les agriculteurs. Ces derniers sont souvent occupés par leur travail sur le terrain et n’ont pas le temps d’assister à des réunions. Nous avons donc lancé une nouvelle initiative lors de la saison agricole 2021-2022, en collaboration avec la société nationale
ASMIDAL, pour mener des actions directement sur le terrain. Nous avons travaillé dans plus de vingt wilayas, en nous concentrant sur l’analyse des sols et l’utilisation rationnelle des engrais.


Où avez-vous lancé ce projet et quelles ont été les premières réactions ?


Le projet a débuté dans la wilaya de M’sila, en présence du secrétaire général du ministère de l’Agriculture. Nous avons ensuite élargi l’initiative aux wilayas de Bordj Bou Arréridj, Sétif, Souk-Ahras et Annaba. La réponse des agriculteurs a été très positive, notamment grâce à l’implication d’ASMIDAL, qui a offert gratuitement des analyses de sol. Cela a permis d’analyser des échantillons provenant de plusieurs champs, et les résultats ont été très encourageants. Les agriculteurs se sont montrés intéressés par les recommandations techniques, en particulier pour l’amélioration de leurs pratiques agricoles.


Quelles recommandations ont été faites lors de cette campagne ?


L’un des principaux axes de la campagne a été l’utilisation rationnelle des engrais. L’usage excessif ou mal adapté de ces produits chimiques peut avoir des effets néfastes sur les sols, les plantes et les eaux souterraines. Nous avons encouragé les agriculteurs à effectuer des analyses de sol avant l’utilisation des engrais. Cela permet de mieux comprendre les besoins spécifiques des sols en
termes de nutriments et d’organique, et d’adopter une approche plus ciblée et économique.


Quel a été l’impact de cette campagne sur le terrain ?


Les résultats ont été très positifs. Nous avons observé une amélioration notable de la productivité après la mise en place de ces analyses de sol et l’adoption d’une gestion raisonnée des engrais. Les agriculteurs ont bien accueilli ces initiatives, et certains ont même vu des augmentations significatives des rendements. En outre, une distribution gratuite d’urée a été effectuée dans certaines exploitations agricoles, ce qui a contribué à de bons résultats.


Avez-vous constaté d’autres défis chez les agriculteurs ?


Oui, malgré l’accueil favorable de cette initiative, nous avons constaté une grande méconnaissance des pratiques agricoles modernes chez certains agriculteurs. Par exemple, beaucoup ignorent l’importance de l’analyse des sols ou de la rotation des cultures pour améliorer la qualité du sol. Dans certaines régions, les pratiques restent traditionnelles, ce qui nécessite une transition vers des techniques modernes.


Qu’avez-vous appris de cette première expérience ?


Cette première expérience a été très enrichissante. Nous avons vu que l’analyse des sols est un outil essentiel pour réduire les coûts d’engrais et optimiser l’irrigation. En outre, il est crucial d’adopter des pratiques agricoles modernes, qui permettent non seulement d’augmenter les rendements, mais aussi de préserver l’environnement. Nous continuerons donc à sensibiliser et à accompagner les agriculteurs dans cette transition vers des méthodes plus durables et efficaces.

Vous avez récemment lancé une caravane agricole en complément du Conseil National de l’UIAA. Pouvez-vous nous en parler davantage ?


La deuxième caravane a débuté le 15 décembre, et elle a été une prolongation du Conseil National de l’UIAA, qui s’est tenu pour la première fois hors de la capitale, dans la wilaya de Oued Souf. Cette caravane a traversé cinq communes : Rabeh, Nakhla, Tefraoui, Terfaoui, Hassi Khalifa et El M’Ghair.
Chacune de ces communes présentes des spécificités agricoles, allant des grandes cultures aux cultures sous serre. La région connaît une croissance importante dans des secteurs stratégiques comme la pomme de terre, les légumes et le maïs.


Qu’est-ce qui a motivé ce choix de région pour cette caravane ?


La wilaya d’Oued Souf est un pilier majeur du développement agricole en Algérie. Cette région pourrait, avec le temps, représenter un tiers des réserves alimentaires du pays. Ce potentiel agricole nous a incités à établir un contact direct avec les investisseurs agricoles locaux et à partager nos connaissances techniques pour améliorer encore la productivité de cette région.


Quels ont été les sujets abordés durant cette caravane ?


Nous avons abordé divers sujets techniques essentiels. Parmi eux, les méthodes d’irrigation adaptées à la région saharienne, le choix des semences, la protection des sols contre la salinité et les résidus d’engrais, ainsi que l’utilisation rationnelle de ces intrants. Nous avons aussi focalisé notre attention sur l’utilisation d’une technologie moderne et économique pour l’irrigation, en raison de la rareté de l’eau dans cette région.


Avez-vous observé des techniques agricoles spécifiques dans cette région ?


Oui, en effet. Une particularité intéressante est l’utilisation des “serres Canarian”, inspirées des îles Canaries. Ces structures présentent certains avantages, mais aussi des inconvénients. Nous avons donné des conseils pratiques aux agriculteurs pour optimiser leur rendement tout en garantissant une productivité durable.


Quels sont les principaux défis auxquels les agriculteurs d’Oued Souf sont
confrontés ?


Les agriculteurs de la wilaya doivent faire face à plusieurs défis. Parmi les plus importants, il y a les conditions climatiques, notamment les tempêtes de sable qui peuvent détruire les cultures. Nous avons recommandé la plantation de brise-vents pour contrer ce problème. La salinité des sols est également un obstacle majeur. Pour cela, nous avons proposé des solutions comme la filtration et le traitement des eaux. En outre, la montée des eaux dans certaines zones nécessite l’installation de systèmes de drainage pour préserver
les terres agricoles.


Avez-vous remarqué des problèmes concernant l’utilisation des intrants agricoles ?


Oui, effectivement. Nous avons constaté une utilisation non rationnelle des intrants agricoles en raison du nombre important de distributeurs. Lors du salon AgrOsouf, organisé en parallèle de la caravane, nous avons sensibilisé les opérateurs économiques sur l’importance d’accompagner la vente des intrants avec des conseils pratiques sur leur utilisation rationnelle et adaptée aux
besoins locaux.


Et en ce qui concerne la commercialisation des produits agricoles ?


La commercialisation reste un défi majeur malgré les efforts réalisés pour améliorer les infrastructures. Par exemple, les grandes exploitations sont désormais raccordées au réseau électrique agricole, ce qui permet de réduire les coûts d’investissement. Cependant, dans certaines zones nouvellement aménagées, l’absence de pistes agricoles complique le transport des produits.


Quels sont les produits agricoles les plus prometteurs dans cette région ?


Nous avons constaté une production abondante de pommes de terre hors saison, qui pourrait couvrir plus de 50 % des besoins nationaux entre décembre et février. La production d’arachides de très bonne qualité est également un atout pour la région. Toutefois, pour que ces produits atteignent leur plein potentiel, des efforts doivent être fournis en matière de logistique et de commercialisation, notamment pour les dattes, les légumes, les arachides et le maïs.
Les défis techniques et logistiques sont considérables, mais ils peuvent être surmontés grâce à la collaboration entre les autorités locales et nationales. Il est essentiel de continuer à accompagner les agriculteurs, de partager les bonnes pratiques et de promouvoir un développement agricole durable. Nous croyons que, avec un soutien adéquat, Oued Souf pourrait jouer un rôle clé
dans la sécurité alimentaire de l’Algérie.


Quelles priorités recommandez-vous pour moderniser l’agriculture
Algérienne ?


Pour garantir un avenir durable, nous proposons plusieurs axes de développement. Notre première priorité est de numériser le secteur agricole. Il est crucial de disposer d’une base de données précise qui nous permettrait d’élaborer des stratégies efficaces, basées sur des données réelles du terrain.
Nous avons proposé la création d’une carte du secteur agricole en Algérie, qui aiderait à identifier les spécificités de chaque région et à établir des stratégies à moyen et long terme. Nous avons l’intention de travailler avec des compétences locales, mais aussi avec des expertises arabes et internationales pour garantir l’actualisation de ces données.


Pourquoi cette carte agricole est-elle si importante pour vous ?


Cette carte serait un outil précieux pour mieux comprendre les besoins et les particularités de chaque région. Cela nous permettrait de mieux cibler nos efforts et de mettre en place des stratégies adaptées aux spécificités locales.
Elle aiderait également à gérer les ressources agricoles de manière plus précise, ce qui est essentiel pour le développement durable du secteur.

Quelles autres priorités avez-vous identifiées pour moderniser l’agriculture en
Algérie ?


Outre la numérisation, le développement des instituts techniques est également une priorité pour nous. Il est vital de doter ces institutions des moyens nécessaires pour améliorer les semences, développer de nouvelles techniques agricoles et optimiser les cultures stratégiques. La création d’une banque des semences et d’une banque génétique pour préserver notre patrimoine agricole est également une priorité. De plus, la recherche scientifique et le rôle de l’université dans le secteur agricole sont essentiels pour soutenir l’innovation et améliorer la compétitivité du secteur à l’échelle mondiale.


Vous parlez également de la création d’un Haut Conseil de la Sécurité
Alimentaire et de l’Eau. Pouvez-vous nous en dire plus , nous pensons qu’un Haut Conseil de la Sécurité Alimentaire et de l’Eau
serait une instance clé pour définir des stratégies à long terme en matière de sécurité alimentaire. Ce conseil pourrait coordonner les efforts entre les autorités locales et nationales et mettre en place des solutions pour garantir une alimentation suffisante pour tous, tout en assurant la gestion durable de nos ressources en eau.


Et quel rôle les ingénieurs agronomes jouent-ils dans ce processus de
modernisation ?


Les ingénieurs agronomes sont au cœur de cette transformation. Ils servent de lien entre la recherche scientifique et l’investissement agricole. Ils appliquent les technologies modernes et accompagnent les investisseurs agricoles dans la mise en œuvre de ces solutions. Notre réseau couvre les 58 wilayas du pays, ce qui nous permet de travailler de manière locale avec des experts et des
bureaux d’études spécialisés pour répondre aux défis agricoles.


Vous avez aussi évoqué l’importance de la formation continue des ingénieurs
agricoles. Comment cela se concrétise-t-il ?


En effet, nous avons mis en place un programme de formation pour recycler nos ingénieurs agricoles. L’objectif est de les transformer en formateurs capables de transmettre leurs compétences aux investisseurs agricoles. Nous voulons que ces ingénieurs soient à la pointe des dernières technologies agricoles, comme l’agriculture de précision, l’intelligence artificielle et la gestion des exploitations agricoles à distance. Cette culture de la formation continue est essentielle pour que nos agriculteurs adoptent les technologies
modernes et deviennent plus compétitifs sur le plan mondial.


En ce qui concerne les caravanes de sensibilisation, quel est leur objectif
principal ?


Nos caravanes de sensibilisation sont une de nos initiatives principales. Chaque six mois, nous organisons une caravane dans une wilaya différente pour sensibiliser les agriculteurs locaux et leur fournir des conseils pratiques sur les techniques agricoles. L’objectif est de partager des informations scientifiques et techniques, mais aussi d’échanger des expériences sur le terrain. Nous
voulons rendre ce travail concret et visible, loin des salles de réunion. Cela permet aussi de mieux comprendre les besoins spécifiques de chaque région et de renforcer l’accompagnement des investisseurs agricoles.


Quelle est la vision à long terme de l’Union pour le secteur agricole en Algérie?


Notre vision à long terme est ambitieuse. Nous voulons moderniser le secteur agricole en Algérie en mettant l’accent sur l’innovation, la formation, et l’accompagnement technique. Nous espérons pouvoir créer un écosystème propice à un développement durable et à une meilleure compétitivité du secteur. Nous voulons que l’agriculture algérienne devienne un modèle d’efficacité, qui respecte les ressources naturelles, notamment l’eau, et qui soit capable de garantir la souveraineté alimentaire du pays. Pour cela, nous comptons sur la collaboration entre les autorités, les universités, les entreprises du secteur et les investisseurs agricoles.

En conclusion, que diriez-vous pour encourager les acteurs du secteur agricole
à soutenir cette transition ?


Il est impératif d’agir rapidement mais de manière réfléchie. Une agriculture basée sur des méthodes traditionnelles et sans fondement scientifique risque de devenir inefficace et coûteuse. Nous devons intégrer les sciences et les technologies dans nos pratiques agricoles pour améliorer les rendements et garantir une sécurité alimentaire à long terme.

Grâce à la coopération entre tous les acteurs, nous pouvons faire de l’agriculture un secteur clé du développement économique et de la souveraineté alimentaire en Algérie.
S.H