Il y a 54 ans, le 24 février 1971, l’Algérie entrait dans une nouvelle ère en nationalisant ses hydrocarbures. Au cœur de cet événement historique se trouvait le champ pétrolier de Hassi Messaoud, dont l’histoire nous est racontée par l’un de ses acteurs clés, Abdelaziz Krissat, alors jeune ingénieur de 26 ans.
Le plus grand gisement pétrolier d’Algérie était, à la veille de la nationalisation, divisé en deux districts – Nord et Sud – où opéraient un enchevêtrement de compagnies algériennes, françaises et mixtes.
Sonatrach, créée en 1963, côtoyait l’Algérie recherche et exploitation du pétrole (Alrep), la Compagnie française des pétroles en Algérie (CFPA) et la Société nationale de recherche et d’exploitation du pétrole en Algérie (SN Repal), dans un système hérité des accords d’Evian de 1962.
La décision historique du président Houari Boumediene, annoncée lors du 15e anniversaire de l’UGTA, est survenue après l’échec des négociations avec la France sur la révision des redevances pétrolières.
Cette proclamation de souveraineté s’est traduite par une prise de participation majoritaire (51%) dans toutes les compagnies pétrolières françaises et la nationalisation complète des réserves de gaz naturel et des infrastructures de transport.
« L’information nous est parvenue avec 24 heures de retard sur les sites », se souvient Krissat, alors chef de base à la Direction des services pétroliers. L’isolement des installations et la faible couverture radio expliquaient ce décalage qui illustre les conditions de travail de l’époque.
Le véritable défi commence le 1er mai 1971, date que Krissat considère comme plus cruciale encore que le 24 février. Ce jour-là, la CFPA retire tout son personnel français, laissant aux jeunes cadres algériens l’entière responsabilité des opérations. « Nous n’étions plus de simples superviseurs, mais des gestionnaires directs », souligne-t-il.
Ces jeunes professionnels, fraîchement diplômés de l’Institut algérien du pétrole (IAP) et de l’Institut national des hydrocarbures, se retrouvent propulsés aux commandes d’installations complexes. Malgré leur inexpérience relative, ils relèvent le défi avec détermination. « La production ne s’est jamais arrêtée », affirme fièrement Krissat, même si quelques retards dans les opérations de forage étaient inévitables.
Le succès de cette transition repose sur plusieurs facteurs : l’engagement exemplaire des travailleurs algériens, la contribution précieuse des jeunes du service national ayant une formation technique, et le soutien des instituts spécialisés, notamment les annexes de l’IAP. « L’amour de la patrie était un élément essentiel pour relever ce défi », rappelle l’ancien ingénieur.
Aujourd’hui, alors que l’Algérie fait face à de nouveaux défis énergétiques, Krissat, qui a dirigé l’Entreprise nationale des travaux aux puits (ENTP), appelle les nouvelles générations à préserver et transmettre cet héritage d’expertise. Il insiste sur l’importance d’investir dans les technologies et l’innovation, tout en saluant les efforts de diversification énergétique du pays vers les énergies renouvelables.
Cette nationalisation des hydrocarbures, dont Hassi Messaoud fut le théâtre principal, représente bien plus qu’un simple changement de propriété. Elle symbolise la capacité de l’Algérie à prendre en main son destin économique et à former rapidement les compétences nécessaires à la gestion de ses ressources stratégiques.
L’histoire de Hassi Messaoud rappelle que la souveraineté économique ne se décrète pas seulement, elle se construit aussi sur le terrain, grâce à l’engagement et au professionnalisme des femmes et des hommes qui en sont les artisans quotidiens.
M.K