À l’approche de l’Aïd al-Adha, période de sacrifice rituel fortement ancrée dans les traditions algériennes, le ministère de l’Industrie ambitionne de transformer cet événement religieux en levier économique stratégique. Près de 4 millions de moutons devraient être
immolés à travers le pays cette année, générant une quantité massive de peaux brutes, dont environ 3 millions sont habituellement perdues chaque année en raison de l’absence d’un système structuré de collecte et de traitement. Pour 2024, les autorités se fixent un objectif ambitieux, récupérer au moins 2 millions de peaux, en portant le taux de peaux exploitables de 29 % l’année dernière à 40 %.
Mokdad Aggoun, directeur de la veille stratégique au ministère de l’Industrie, affirme que chaque peau jetée représente une perte économique directe. Selon lui, cette opération de récupération ne se limite pas à une action ponctuelle, mais s’inscrit dans la feuille de route nationale fixée par le président de la République, qui prévoit de porter le produit intérieur brut à 400 milliards de dollars d’ici 2027 et de dépasser les 10 milliards de dollars d’exportations dès cette année. Le ministère de l’Industrie contribue à cet objectif global à travers la restructuration du secteur public marchand, la réduction de la facture d’importation, et le développement de filières industrielles clés, en particulier celle du cuir et du textile. L’opération de récupération des peaux de mouton est ainsi conçue comme un
maillon essentiel d’un processus intégré visant à renforcer la production nationale et à valoriser les ressources locales.
Pour réussir cette opération, une coordination multisectorielle est mise en œuvre, associant les ministères de l’Intérieur, de l’Environnement, de l’Agriculture, ainsi que les collectivités locales. Chaque wilaya déploie un dispositif adapté à sa taille et au nombre de ses communes, dans le cadre d’un plan national unifié. Le groupe public GITEX, acteur central de la filière cuir, assure le traitement industriel des peaux et met cette année gratuitement à disposition des citoyens 2 000 tonnes de sel, soit 2 millions de kilos, destinés à assurer la préservation des peaux par salage. Le salage constitue une étape importante dans le processus, une peau mal salée devenant inutilisable. Il est donc exigé un premier salage directement après le dépouillement, au niveau du domicile, suivi d’un second salage dans les centres de collecte.
La réussite de cette campagne repose aussi sur la mobilisation des citoyens. Une campagne de sensibilisation nationale est en cours, appelant au respect de trois consignes essentielles : privilégier le sacrifice dans des abattoirs agréés, effectuer un dépouillement soigneux, ou faire appel à un professionnel pour éviter d’endommager la peau, et enfin saler correctement la peau avec le sel fourni. Le directeur rappelle que le véritable problème ne réside pas dans l’acte du sacrifice en lui-même, mais bien dans le dépouillement, qui est un métier à part entière. Une peau déchirée ou mal traitée devient irrécupérable. Un important dispositif logistique est prévu pour assurer la collecte dans des conditions sanitaires optimales, en particulier face aux températures élevées du mois de juin, qui favorisent la dégradation rapide des déchets organiques. Les peaux collectées seront d’abord regroupées au niveau communal, puis triées en fonction de leur état. Celles qui sont exploitables seront envoyées vers les tanneries publiques et privées, tandis que les peaux
détériorées seront orientées vers d’autres formes de valorisation, notamment la récupération de la laine, ou évacuées vers des centres d’enfouissement technique. Cette chaîne de traitement fait intervenir les collectivités locales, les agents d’entretien, les jeunes entrepreneurs privés impliqués dans la collecte, ainsi que l’ensemble du réseau de valorisation industrielle.
En structurant cette opération de collecte nationale, le gouvernement entend faire de la période de l’Aïd non seulement un temps fort religieux, mais aussi un acte citoyen et économique. Pour Mokdad Aggoun, il s’agit avant tout de cesser de gaspiller une ressource
précieuse. En intégrant cette opération dans une stratégie industrielle nationale, l’Algérie ambitionne de renforcer sa souveraineté économique et de stimuler des filières locales capables de créer de la valeur et de l’emploi.
Sonia H.
L’Algérie veut récupérer deux millions de peaux de mouton pour relancer la filière cuir et textile
Fête de l’Aïd