Par Yacine Merzougui
L’économie algérienne a connu des évolutions contrastées au cours des deux dernières décennies, marquées par des périodes de croissance et de ralentissement. L’analyse de la dynamique du Produit intérieur brut (PIB) et de ses composantes sectorielles permet de mieux comprendre les forces et les faiblesses structurelles de l’économie algérienne, ainsi que les enjeux de sa transformation.
Ici, nous retraçons les principales tendances du PIB algérien depuis 2002, en mettant en lumière les évolutions sectorielles et les facteurs qui les sous-tendent. Nous examinons ensuite les défis auxquels le pays est confronté pour diversifier son économie et assurer une croissance durable, tout en soulignant les opportunités qui s’offrent à lui.
L’évolution du PIB algérien de 2002 à 2023 : alternance de périodes de croissance et de ralentissement
Entre 2002 et 2023, le PIB algérien a connu des fluctuations importantes, alternant des phases de croissance et de ralentissement. La figure 1 illustre l’évolution du taux de croissance annuel du PIB sur cette période.
2002-2008 : Une période de croissance robuste
De 2002 à 2008, le PIB algérien a enregistré une croissance annuelle moyenne de 5,1%. Cette dynamique favorable a été portée par plusieurs secteurs clés :
- Les industries extractives, tirées par la hausse des prix des hydrocarbures, ont connu une croissance moyenne de 5,2% sur la période.
- Le secteur de la construction a bénéficié d’un fort développement, avec une progression annuelle moyenne de 9,9%.
- Les activités financières, l’administration publique et le commerce ont également contribué à cette phase d’expansion économique.
Cette période faste a permis à l’Algérie de dégager des excédents budgétaires substantiels, grâce auxquels le pays a pu constituer d’importantes réserves de change et réduire sensiblement son endettement.
2009-2016 : Un ralentissement de la croissance
À partir de 2009, le rythme de croissance du PIB s’est nettement ralenti, avec des taux annuels moyens de seulement 3,2% entre 2009 et 2016. La figure 2 illustre cette phase de moindre performance.
Plusieurs facteurs expliquent ce changement de tendance :
- La crise économique mondiale de 2008-2009 a eu un impact négatif sur les industries extractives, dont la valeur ajoutée a reculé de 6,9% en moyenne annuelle sur la période.
- Les industries manufacturières ont également subi des contractions successives, avec une baisse moyenne de 2,6% par an.
- Le secteur de la construction, bien que restant dynamique, a vu son rythme de croissance ralentir.
- La bande de Haddad et Cie commençait alors à prendre le contrôle de l’économie nationale et de tous ses leviers. Certains secteurs d’activité sont alors pratiquement paralysés pour les mettre ensuite dans les bras de la Issaba. La maladie de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika a facilité cette OPA sur toute l’économie nationale.
Cette phase de moindre performance s’est traduite par une dégradation des équilibres budgétaires et extérieurs, contraignant l’Algérie à puiser dans ses réserves de change pour financer ses dépenses.
Depuis 2017, une reprise fragile et une nécessaire diversification
Depuis 2017, l’économie algérienne a amorcé une reprise, avec des taux de croissance annuels oscillant entre 1,4% et 4,1%. Cependant, cette dynamique reste fragile et fortement dépendante des fluctuations des cours des hydrocarbures.
En effet, les industries extractives, bien que redevenues positives depuis 2016, demeurent un élément déterminant de la croissance, avec des variations annuelles parfois erratiques. De même, les industries manufacturières peinent à s’affirmer comme un moteur alternatif, malgré quelques signes d’amélioration ponctuels.
Cette situation met en lumière l’urgence pour l’Algérie de poursuivre ses efforts de diversification économique, afin de réduire sa dépendance aux hydrocarbures et d’asseoir une croissance plus équilibrée et durable.
L’analyse de la dynamique sectorielle du PIB algérien permet de mieux comprendre les mutations structurelles de l’économie au cours de la période 2002-2023.
Des secteurs traditionnels en perte de vitesse
Certains secteurs historiques de l’économie algérienne ont connu des performances en demi-teinte, voire des reculs, sur la période étudiée.
La figure 3 illustre l’évolution de la valeur ajoutée de l’agriculture, de la pêche et de la sylviculture, ainsi que celle des industries manufacturières.
L’agriculture, la pêche et la sylviculture ont affiché une croissance irrégulière, avec des taux annuels variant entre -4,2% et 24,4%. Cette volatilité s’explique par la forte dépendance de ces activités aux aléas climatiques et à la disponibilité des ressources en eau.
De même, les industries manufacturières ont traversé des phases de contraction (-15% en 2012) et de reprise modérée (10,1% en 2017), peinant à s’affirmer comme un pilier de la diversification économique. La faiblesse de la productivité, les défaillances logistiques et l’obsolescence des équipements sont autant de freins à leur développement.
Des secteurs en mutation
Parallèlement, d’autres secteurs ont connu des évolutions plus favorables, témoignant de transformations structurelles en cours dans l’économie algérienne.
La figure 4 illustre la dynamique du secteur de la construction et des transports/communications.
Le secteur de la construction a enregistré une croissance soutenue, avec des taux annuels atteignant jusqu’à 16,8% en 2006 et 13,4% en 2013. Cet essor reflète les importants investissements publics dans les infrastructures (logements, routes, barrages, etc.) et l’urbanisation croissante du pays.
De même, le secteur des transports et communications a fait preuve de dynamisme, avec une progression moyenne de 4,9% par an sur la période 2002-2023. Le développement des réseaux de transport et la numérisation croissante de l’économie ont contribué à cette évolution positive.
Des secteurs stratégiques en quête de modernisation
Enfin, certains secteurs clés pour la diversification économique ont connu des trajectoires contrastées, révélant la nécessité d’engager des réformes ambitieuses.
La figure 5 illustre l’évolution des industries extractives et des activités financières.
Ainsi, les industries extractives, dominées par les hydrocarbures, ont vu leur valeur ajoutée fluctuer fortement au gré des variations des cours mondiaux. Malgré quelques percées, comme en 2016 (+12,2%), ce secteur peine à s’adapter aux nouvelles dynamiques énergétiques mondiales et à valoriser davantage ses ressources.
De la même manière, les activités financières, bien qu’affichant une croissance soutenue jusqu’en 2011, ont ensuite connu un ralentissement, soulignant les défis de modernisation et d’inclusion du système financier algérien.
Des enjeux de diversification économique pour asseoir une croissance durable
Face à ces évolutions contrastées, l’Algérie est confrontée à des défis majeurs pour diversifier son économie et réduire sa dépendance aux hydrocarbures. Plusieurs leviers d’action s’offrent au pays pour relever ces défis.
Réindustrialiser l’économie et développer les secteurs à forte valeur ajoutée
La modernisation et le renforcement du secteur manufacturier constituent une priorité pour l’Algérie. Cela passe par des investissements massifs dans la mise à niveau technologique des usines, l’amélioration de la productivité et le soutien à l’innovation.
De même, le développement de filières industrielles à forte valeur ajoutée, telles que la chimie, la pharmacie ou l’aéronautique, permettrait de diversifier la base productive du pays et de créer des emplois qualifiés.
Valoriser le potentiel des ressources naturelles au-delà des hydrocarbures
Au-delà des hydrocarbures, l’Algérie dispose d’autres ressources naturelles (minéraux, énergies renouvelables, etc.) qu’elle doit mieux valoriser. Cela nécessite des investissements dans l’exploration, l’extraction et la transformation de ces matières premières, ainsi que le développement de filières de haute technologie associées.
Le développement de services à forte valeur ajoutée, tels que le numérique, la logistique, le tourisme ou les activités financières, représente également un levier essentiel pour diversifier l’économie algérienne. Cela passe par des politiques volontaristes de soutien à l’entrepreneuriat, à l’innovation et à la formation de compétences.
Pour stimuler la diversification économique, l’Algérie doit aussi améliorer la compétitivité de ses entreprises, en favorisant un environnement des affaires plus favorable à l’investissement, en modernisant les infrastructures et en facilitant l’accès au financement.
L’ouverture à l’international, à travers le développement des exportations hors hydrocarbures et l’attractivité des investissements étrangers, constitue également un levier essentiel pour permettre aux entreprises algériennes de s’intégrer aux chaînes de valeur mondiales.
Investir dans le capital humain
Enfin, l’Algérie doit s’appuyer sur le renforcement de son capital humain, en améliorant la qualité de l’éducation et de la formation professionnelle, ainsi que sur une transition écologique de son économie, en valorisant ses atouts dans les énergies renouvelables et l’économie circulaire.
Ces différents leviers, s’ils sont mis en œuvre de manière cohérente et ambitieuse, permettraient à l’Algérie de s’engager sur la voie d’une croissance économique durable, diversifiée et plus créatrice d’emplois.
L’analyse de l’évolution du PIB algérien depuis 2002 révèle une trajectoire contrastée, alternant des phases de croissance robuste et des périodes de ralentissement. Cette dynamique reflète les forces et les faiblesses structurelles de l’économie du pays, dominée par les industries extractives et confrontée aux défis de la diversification.
Pour relever ces défis et assurer une croissance économique durable, l’Algérie doit s’engager dans une transformation ambitieuse de son modèle de développement. Cela passe par le renforcement des secteurs industriels et de services à forte valeur ajoutée, la valorisation de ses ressources naturelles au-delà des hydrocarbures, le soutien à l’innovation et à l’entrepreneuriat, ainsi que l’amélioration de la compétitivité et de l’internationalisation de son économie.
Ces efforts de diversification, conjugués à des investissements dans le capital humain et la transition écologique, permettront à l’Algérie de s’affranchir progressivement de sa dépendance aux hydrocarbures et de s’engager sur la voie d’une croissance plus équilibrée et durable.