La nationalisation des hydrocarbures, décidée le 24 février 1971, constitue l’une des étapes les plus déterminantes dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Cette action audacieuse a permis au pays de parachever son indépendance économique après avoir arraché sa liberté politique au prix d’une longue guerre de libération. C’est ce qu’a affirmé le chercheur en histoire Meziane Saïdi dans un entretien accordé à l’APS à l’occasion du 54e anniversaire de cet événement historique.
Pour ce spécialiste reconnu, cette décision stratégique représente un tournant fondamental qui a radicalement transformé la trajectoire économique du pays. « La nationalisation des hydrocarbures constitue l’une des décisions les plus importantes et décisives de l’histoire de l’État algérien indépendant. Elle a permis de libérer le secteur des hydrocarbures de la domination française et de compléter l’indépendance économique après avoir arraché l’indépendance politique par la guerre de libération nationale », a-t-il souligné.
M. Saïdi a rappelé le contexte historique de cette annonce faite par le défunt président Houari Boumediene devant les dirigeants et cadres de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le 24 février 1971. Cette proclamation comportait la nationalisation d’au moins 51% des intérêts des sociétés concessionnaires françaises opérant dans le pays. Une mesure qui incarnait, selon l’historien, « la souveraineté effective du pays sur ses richesses pétrolières et gazières ».
Pour comprendre l’ampleur de cette décision, il faut se replonger dans le contexte post- indépendance. L’Algérie venait de mettre fin à 132 années de colonisation française, mais son économie restait largement sous contrôle étranger, particulièrement dans le secteur stratégique des hydrocarbures. Les accords d’Évian de 1962, qui avaient mis fin à la guerre d’Algérie, contenaient des clauses garantissant aux intérêts français la poursuite de l’exploitation des ressources naturelles algériennes.
La nationalisation de 1971 venait rompre avec cet héritage colonial en affirmant le droit inaliénable de l’Algérie à disposer pleinement de ses richesses naturelles. Cette action a permis au pays de « reprendre le contrôle de ses ressources pétrolières, de se libérer du système
monopolistique des concessions hérité de l’époque coloniale et d’établir une souveraineté réelle sur ses richesses pétrolières », a expliqué le chercheur. Au-delà de sa dimension symbolique, cette décision a eu des répercussions concrètes considérables sur le développement du pays. Elle a notamment contribué à « l’exploitation des capacités pétrolières et à l’établissement de partenariats avec plusieurs grandes puissances mondiales, à l’exemple de l’ex-Union soviétique, les États-Unis, la Chine et l’Italie », permettant ainsi de « diversifier les opportunités de coopération et d’éviter une dépendance exclusive de la France ».
Cette politique de diversification des partenaires a conduit à une croissance significative de la production algérienne de pétrochimie, qui est passée de 34 millions de tonnes en 1966 à 50 millions de tonnes en 1972, alors que le prix du baril de pétrole était estimé à seulement 2 dollars à l’époque.
M. Saïdi a également mis en lumière un aspect important de cette nationalisation : la fermeté dont a fait preuve l’Algérie face aux pressions internationales. « Le recul des compagnies françaises face à leurs positions intransigeantes et leur soumission aux décisions algériennes ont confirmé la détermination de l’Algérie dans la nationalisation des hydrocarbures de manière définitive et irréversible », a-t-il affirmé.
Cette détermination a abouti à la signature d’accords historiques quelques mois après la décision de nationalisation. Le 30 juin 1971, Sonatrach concluait un accord avec la Compagnie française des pétroles (CFPA), suivi d’un autre accord le 13 décembre de la même année avec ELF-ERAP.
Ces ententes définissaient les nouvelles conditions régissant les activités de ces entreprises en Algérie, conformément aux principes et règles énoncés dans la décision de nationalisation et les législations algériennes promulguées le 12 avril 1971.
Sur le plan international, cette action souveraine a eu un « écho » considérable et a servi d’exemple de réussite », notamment parmi les pays exportateurs de pétrole qui ont entrepris des démarches similaires par la suite. Le Venezuela, par exemple, a nationalisé son industrie pétrolière en 1976, s’inspirant en partie de l’expérience algérienne.
Les retombées économiques et sociales de cette nationalisation ont été multiples. Elle a permis l’augmentation des recettes d’exportations, la réduction de la domination des multinationales et le renforcement des investissements dans les infrastructures de base essentielles au développement du pays. Routes, transports, écoles, barrages et hôpitaux ont pu être construits grâce aux revenus
pétroliers, stimulant ainsi le développement social et économique de l’Algérie.
Face à cette dynamique engagée par les pays en développement, les nations industrialisées ont cherché à maintenir leur influence sur le secteur énergétique mondial. Comme l’explique l’historien, ces pays ont tenté de préserver leur domination à travers leurs entreprises
multinationales, qui contrôlaient les technologies d’exploration, de raffinage, de pétrochimie, ainsi que les prix des hydrocarbures et les fluctuations du marché international. Certains pays ont même été soumis à des sanctions économiques directes et indirectes pour avoir osé prendre le contrôle de leurs ressources naturelles.
Dans ce contexte hostile, l’Algérie a dû relever d’importants défis après sa décision de nationaliser les hydrocarbures. M. Saïdi a souligné les efforts considérables déployés pour établir une industrie pétrolière complète et intégrée, avec un contrôle étatique sur toutes les étapes de la chaîne de valeur, de l’exploration à la commercialisation, en passant par la production, le transport et le raffinage.
Les revenus générés par cette industrie ont été investis dans des projets d’infrastructure majeurs et dans le développement industriel du pays. L’Algérie a œuvré à créer une intégration économique entre différents secteurs, notamment l’industrie, l’agriculture et le commerce. Elle a également augmenté son taux d’épargne nationale – les recettes pétrolières constituant une ressource essentielle – et utilisé ses capacités financières pour construire des infrastructures et des complexes industriels rivalisant avec ceux des pays industrialisés.
Parmi les réalisations emblématiques financées grâce aux revenus des hydrocarbures nationalisés, on peut citer le complexe sidérurgique d’El Hadjar, la mécanique de Rouïba, l’industrie électroménagère (ENIEM) à Tizi Ouzou, le complexe électronique (ENIE) à Sidi Bel Abbès, l’usine de fabrication de tracteurs à Constantine, les raffineries de sucre et les unités de l’industrie textile.
Ces structures pionnières de l’industrie nationale ont été rendues possibles grâce à la décision historique de nationalisation prise il y a 54 ans. Comme le souligne M. Saïdi, ces projets ambitieux visaient non seulement à réduire la dépendance économique du pays, mais aussi à offrir des opportunités de formation et d’emploi à la main-d’œuvre locale et aux cadres algériens.
Avec le recul historique, la nationalisation des hydrocarbures apparaît donc comme l’un des actes fondateurs de l’Algérie moderne, ayant permis au pays de consolider son indépendance politique par une véritable souveraineté économique sur ses ressources naturelles.
H.M
La nationalisation des hydrocarbures, pilier de la souveraineté économique algérienne
54e anniversaire