« La mucoviscidose, une maladie qui exige plus d’attention et de moyens »

Pr Rachida Boukhari, pédiatre au Centre hospitalo-universitaire Mustapha Pacha

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À l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant, le Pr Rachida Boukhari, pédiatre au Centre hospitalo-universitaire Mustapha Pacha, a pris part au Forum d’El Moudjahid pour alerter sur la situation préoccupante des enfants atteints de mucoviscidose en Algérie. Avant d’aborder les dimensions sociales et médicales de cette pathologie, elle a rappelé que la mucoviscidose est une maladie génétique autosomique récessive qui touche principalement les voies respiratoires et le système digestif. Elle provoque une production anormale de mucus, épais et collant, qui obstrue les bronches et les canaux digestifs, entraînant des infections pulmonaires chroniques, des troubles digestifs graves, une malabsorption des nutriments, une dénutrition progressive et une atteinte multisystémique avec des complications graves si elle n’est pas prise en charge à temps. Selon le Pr Boukhari, la maladie reste
largement sous-diagnostiquée en Algérie, en grande partie à cause de l’absence d’un programme national de dépistage néonatal. Beaucoup d’enfants sont diagnostiqués tardivement, souvent vers l’âge de cinq ou six ans, après des années d’errance médicale, malgré des signes cliniques évidents dès la naissance, comme une toux chronique, des infections pulmonaires répétées, une croissance ralentie, une fatigue constante et des selles graisseuses. Elle a regretté que certains praticiens ignorent encore aujourd’hui les symptômes de cette maladie, ce qui retarde la prise en charge et aggrave l’état des patients. Le retard diagnostique a un coût médical et humain lourd, car plus le diagnostic est posé tard, plus les lésions pulmonaires sont irréversibles. Le quotidien des enfants atteints de mucoviscidose est marqué par une lourde prise en charge. Ils doivent suivre plusieurs séances de kinésithérapie respiratoire par jour, subir des traitements par aérosol, prendre des antibiotiques en continu ou en cures, suivre une alimentation hypercalorique et hyperprotéinée, avec des compléments nutritionnels et enzymatiques. Le Pr Boukhari a souligné que cette routine épuisante représente deux à trois heures de soins quotidiens, sans compter les hospitalisations fréquentes. À cette charge physique s’ajoute une fatigue chronique, un isolement social et une grande souffrance psychologique. L’impact sur la scolarité est également considérable. De nombreux enfants sont déscolarisés, car leur état de santé ne leur permet pas de suivre un cursus normal. Ils sont souvent victimes d’incompréhension, y compris dans le milieu scolaire, en raison du manque de sensibilisation. La situation est d’autant plus grave que la majorité des familles n’ont pas les moyens financiers de supporter le coût du traitement. Plusieurs médicaments essentiels, notamment les enzymes pancréatiques, les vitamines liposolubles, certains antibiotiques spécifiques et les produits nutritionnels adaptés, ne sont
pas toujours disponibles dans les pharmacies hospitalières et doivent être achetés à l’étranger à des prix exorbitants. Ce fardeau économique pousse de nombreuses familles à interrompre ou alléger les traitements, avec des conséquences dramatiques sur l’état de santé des enfants. Le Pr Boukhari a regretté que l’Algérie n’ait pas encore instauré une véritable politique de santé dédiée à cette pathologie, contrairement à plusieurs pays développés où l’espérance de vie des patients dépasse aujourd’hui 50 ans. En Algérie, elle ne dépasse souvent pas l’adolescence. Elle a appelé à la création urgente de centres spécialisés multidisciplinaires dans les hôpitaux universitaires, avec des équipes formées spécifiquement à la prise en charge de la mucoviscidose. Elle a également insisté sur la nécessité d’un registre national des cas, d’un système de dépistage à la naissance, d’une dotation constante en médicaments
essentiels, et d’un accompagnement psychosocial renforcé pour les familles.
Pour le Pr Boukhari, la Journée internationale des droits de l’enfant ne peut pas être célébrée de manière symbolique. Elle doit être l’occasion de rappeler que les enfants atteints de maladies rares, comme la mucoviscidose, ont eux aussi droit à une prise en charge digne, équitable, et à un avenir vivable. Elle a conclu en affirmant que tant que ces enfants seront livrés à eux-mêmes, privés d’accès
aux soins de base, et ignorés par les politiques publiques, la société continuera de faillir à sa responsabilité fondamentale envers ses plus jeunes et plus fragiles membres.
Sonia.H