Le Conseil des ministres, réuni ce dimanche sous la présidence du chef de l’État, a franchi un cap symbolique dans la régulation du commerce extérieur. Au cœur des décisions annoncées, une instruction forte, la formalisation de l’activité des micro-importateurs, ces commerçants individuels appelés communément « CABA », longtemps marginalisés par les restrictions imposées sur les importations.
La décision présidentielle est présentée comme une réponse à une revendication persistante des petits importateurs, pénalisés depuis des années par des contrôles renforcés dans les ports et aéroports. Derrière ce virage politique se dessine une tentative de réintégration de milliers d’acteurs économiques opérant à la marge. Une population économiquement active, socialement ancrée, mais fiscalement invisible.
La mesure devrait passer par l’intégration des CABAS dans le statut de l’auto-entrepreneur, une plateforme administrative qui a déjà séduit près de 30 000 jeunes. Mais cette approche pose plus de questions qu’elle n’en résout : parle-t-on réellement d’entrepreneuriat, ou s’agit-il d’un simple habillage légal d’une activité de revente informelle ? Et surtout, cette formalisation suffira-t-elle à changer la
donne économique ? Le professeur Mahfoud Kaoubi, économiste, alerte sur l’illusion de la régularisation administrative sans réforme structurelle : « Tant que l’on ne touche pas au cœur du problème — la dualité du marché et le différentiel de change —, on ne fait que déplacer le problème, pas le résoudre. » Le fossé entre le taux de change officiel et celui du marché parallèle dépasse aujourd’hui les 80 %, une distorsion qui alimente la fraude, la surfacturation, et l’expansion du marché informel.
Kaoubi insiste : « La régularisation des CABAS, sans un alignement des taux de change ou une réforme de la distribution, ne changera rien. Leur logique d’approvisionnement restera parallèle, même avec un statut formel. » Il évoque des modèles comme celui de l’Inde, qui ont expérimenté des taux de change différenciés de manière transitoire pour préserver certaines filières vitales, notamment l’importation automobile.
Le Président a également ordonné la création d’une commission interministérielle pour définir les mécanismes régissant cette micro-importation. Une nouvelle structure qui viendrait s’ajouter à la panoplie d’agences annoncées dans la réforme du commerce extérieur, avec désormais des entités séparées pour le commerce intérieur et extérieur. Mais là encore, l’économiste met en garde contre une inflation institutionnelle : « Chaque nouvelle structure alourdit le processus décisionnel. Le problème n’est pas bureaucratique, il est économique. Il faut agir sur les leviers réels : le taux de change et l’organisation des marchés. » L’exemple des offices chargés de réguler des produits comme le sucre ou l’huile n’est pas particulièrement encourageant. Leur multiplication n’a pas empêché les pénuries, les hausses de prix, ou les dérives spéculatives. « Il faut arrêter avec cette logique des pansements réglementaires. Ce qu’il faut, c’est organiser des circuits de distribution clairs, accessibles, et professionnels. Sans cela, aucune loi, aucune agence, aucun décret ne suffira », tranche Kaoubi. Le débat renvoie donc à une question cruciale : veut-on réellement intégrer l’informel à l’économie nationale, ou se contente-t-on de le contenir sur le papier ? Car tant que la fragmentation des circuits commerciaux persiste, que les marchés de gros restent désorganisés, et que les taux de change évoluent à deux vitesses, l’économie nationale continuera de fonctionner selon une logique duale — une Algérie officielle, et une autre parallèle.
En attendant, les CABAS attendent, eux, de voir si cette énième annonce présidentielle débouchera sur des mesures concrètes, viables, et surtout durables. Car à force de traiter les symptômes sans soigner les causes, c’est l’ensemble du commerce extérieur algérien qui reste sous perfusion administrative.
Sonia H.
« La dualité du marché est nourrie par le différentiel de change»
Mahfoud Kaoubi, économiste