Rect’Angle
Par : Mohamed Mouloudj
Dans le paysage médiatique national, la censure n’est pas toujours une question de directives officielles ou de pressions directes. Mais prend souvent une forme plus insidieuse et implicite. Les responsables de presse ajustent leurs lignes éditoriales non pas en réponse à des instructions claires, mais dans une logique de préservation de leurs intérêts, notamment économiques. Ce phénomène s’est accentué ces dernières années, notamment au sein de certains groupes médiatiques, où les décisions éditoriales peuvent être influencées par la volonté d’éviter de froisser certaines figures politiques ou des acteurs économiques. Ainsi, les patrons de presse, soucieux de maintenir des relations harmonieuses avec le pouvoir en place ou de sécuriser des partenariats lucratifs, préfèrent souvent minimiser certains sujets sensibles ou les traiter de manière édulcorée, de peur de compromettre leur position. A défaut d’attaques virulentes contre des voix dissidentes, le choix de la censure remplace le dénigrement. Cette autocensure préventive se manifeste sous la forme de choix éditoriaux prudents, réalisés non pas en raison d’une pression manifeste des autorités, mais dans une anticipation des enjeux, notamment politiques. Détecter la direction du vent est devenu une mission très délicate pour la presse. Les journalistes, conscients de ces impératifs, peuvent ainsi se retrouver à éviter des angles de traitement qui risqueraient de déplaire à leurs employeurs ou à leurs interlocuteurs privilégiés. L’affaire de la couverture médiatique du dernier Conseil national du Parti des travailleurs (PT) en est un exemple frappant. Alors que des formations politiques légales comme le PT et le RCD sont souvent présentes dans le débat public, la couverture médiatique de leurs activités, peut parfois se limiter à un minimum. Cette forme de censure implicite, exercée par des patrons de presse dans un souci de conformité aux attentes du pouvoir, révèle la fragilité de nos médias. Elle montre que, loin de se traduire par des consignes explicites, la censure se nourrit d’un alignement tacite avec les attentes des pouvoirs public, même si ces derniers n’en demandent pas ou pas souvent. Ce phénomène fait que, par calcul stratégique, certains médias préfèrent se soumettre à des impératifs qui ne sont pas ceux des journalistes, au détriment de leur rôle critique et indépendant. En ce sens, l’autocensure devient un outil de gestion, un moyen de maintenir une position privilégiée dans un système où les lignes éditoriales sont souvent contraintes par des enjeux de pouvoir bien plus larges. Cette même presse, dépourvue d’une quelconque vision professionnelle du métier à proprement dire, sera la première à chanter les louanges de celle ou de celui qu’elle censure aujourd’hui, si la victime d’hier est appelée à être réhabilitée demain. Cette même presse qui fait dans le zèle sait pertinemment que sur le plan politique, c’est ceux qu’elle prétend défendre qui devraient payer la facture !