La balance des paiements de l’Algérie, analyse d’une décennie tourmentée

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Commerce extérieur (2013-2023)

Par Yacine Merzougui
L’histoire de la balance des paiements de l’Algérie, de 2013 à 2023, ressemble à des montagnes russes, oscillant entre euphorie et dépression. Après l’âge d’or des années 2013, porté par un baril à plus de 100 dollars, l’effondrement des cours du pétrole en 2014 a brutalement plongé le pays dans une spirale de déficits. L’année 2019, celle du Hirak à rajouté son lot de misères aux
chiffres de la Banque d’Algérie. Cette descente aux enfers, accentuée par la pandémie de Covid-19 en 2020, n’a pris fin qu’en 2022, grâce à un rebond spectaculaire des prix des hydrocarbures et surtout le freinage des importations tous azimuts et l’apparition de nouveaux produits au chapitre des exportations.
Cette décennie mouvementée a mis en lumière la vulnérabilité d’une économie encore largement dépendante de ses ressources en hydrocarbures et la nécessité d’investir dans des créneaux porteurs à forte valeur ajoutée en devises.
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Dix ans de balance des paiements: d’une crise à l’autre
La balance des paiements algérienne a traversé une décennie de turbulences entre 2013 et 2023, marquée par une succession de chocs externes. Les réserves de change du pays ont suivi une trajectoire descendante, passant de 194,01 milliards de dollars fin 2013 à 85,23 milliards de dollars à la fin du premier semestre 2023, après avoir touché un plancher de 41,5 milliards en 2021.
L’année 2013 constituait encore l’âge d’or des exportations d’hydrocarbures avec 63,82 milliards de dollars, représentant 98,38% des recettes extérieures. Le solde du compte courant affichait alors un excédent de 1,15 milliard de dollars, soit 0,4% du PIB. Les importations, qui s’établissaient à 54,99 milliards de dollars, étaient largement couvertes par les recettes des
hydrocarbures, dégageant une balance commerciale excédentaire de 9,88 milliards de dollars.
Le premier choc est survenu mi-2014 avec l’effondrement des cours du pétrole. Les exportations d’hydrocarbures ont chuté de 43,4% en l’espace de douze mois, passant de 58,46 milliards de dollars en 2014 à 33,08 milliards seulement en 2015. Le déficit du compte courant s’est creusé à 27,29 milliards de dollars, soit 16,2% du PIB. Les services et revenus des facteurs ont aggravé le
déficit avec respectivement -7,53 et -4,45 milliards de dollars.
La pandémie de Covid-19 a porté un second coup en 2020, faisant chuter les exportations totales à leur plus bas niveau historique : 21,93 milliards de dollars, dont 20,02 milliards pour les hydrocarbures. Les importations ont été compressées à 35,55 milliards de dollars, soit une baisse de 20,3% par rapport à 2019. Le déficit commercial s’est établi à 13,62 milliards de dollars.

La reprise post-Covid et la crise ukrainienne ont provoqué un rebond spectaculaire en 2022. Les exportations ont atteint 65,72 milliards de dollars, dépassant le niveau de 2013. La balance commerciale a enregistré un excédent record de 26,85 milliards de dollars. Le solde courant est redevenu positif à 19,45 milliards de dollars, une première depuis 2013.
Les exportations hors hydrocarbures ont connu une progression notable, passant de 1,05 milliard de dollars en 2013 à 5,98 milliards en 2022, soit une multiplication par 5,7. Leur part dans les exportations totales est passée de 1,62% à 9,1%. Les premiers chiffres de 2023 montrent un tassement avec des exportations totales à 54,98 milliards de dollars, dont 49,92 milliards
d’hydrocarbures et 5,06 milliards hors hydrocarbures.
La facture des services a représenté une ponction constante, oscillant entre 8,27 milliards de dollars en 2018 et 4,29 milliards en 2022. Les revenus des facteurs ont fluctué entre 5,20 milliards de dollars en 2022 et 1,92 milliard en 2016, reflétant l’évolution des transferts des compagnies pétrolières étrangères.
Cette décennie a vu l’introduction de multiples mesures de restriction des importations. Le dispositif des licences en 2016, le système des quotas en 2018, et la liste des produits interdits en 2020 ont permis de réduire la facture de 54,99 milliards de dollars en 2013 à 42,96 milliards en 2023, soit une baisse de 21,9%.
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L’impact dévastateur de la crise sanitaire sur les comptes extérieurs
La pandémie de Covid-19 a infligé un choc sans précédent à l’économie algérienne, provoquant un effondrement historique des comptes extérieurs en 2020-2021. Les réserves de change ont chuté de 61,97 milliards de dollars fin 2019 à 46,76 milliards fin 2020, soit une perte de 24,54% en douze mois, avant d’atteindre leur plus bas niveau à 41,5 milliards en 2021.
Les exportations d’hydrocarbures se sont effondrées à 20,02 milliards de dollars en 2020, contre 33,24 milliards en 2019, soit une baisse de 39,77%. Le prix moyen du baril algérien est passé de 64,49 dollars en 2019 à 41,90 dollars en 2020, tandis que les volumes exportés ont chuté de 1,23 million de barils/jour à 0,894 million. Le déficit du compte courant s’est creusé à 18,68 milliards
de dollars, représentant 12,3% du PIB.
La balance commerciale a enregistré un déficit de 13,62 milliards de dollars en 2020, contre 9,31 milliards en 2019. Les importations ont été comprimées à 35,55 milliards de dollars en 2020, soit une baisse de 20,34% par rapport aux 44,63 milliards de 2019. Les restrictions sanitaires ont également impacté la balance des services, dont le déficit s’est réduit à 4,33 milliards de dollars
contre 6,36 milliards en 2019.
L’année 2021 a marqué un début de redressement avec des exportations totales atteignant 38,64 milliards de dollars, dont 34,06 milliards d’hydrocarbures (+70,13% par rapport à 2020) et 4,58 milliards hors hydrocarbures (+139,79%). Les importations sont restées maîtrisées à 37,47 milliards de dollars (+5,4%), permettant à la balance commerciale de renouer avec un excédent
de 1,17 milliard de dollars.
Le déficit des services s’est établi à 3,62 milliards de dollars en 2021, son plus bas niveau depuis 2013, bénéficiant de la réduction des dépenses de transport et de voyage imposée par les restrictions sanitaires. Les revenus des facteurs ont creusé un déficit de 4,01 milliards de dollars, en hausse de 34% par rapport aux 2,99 milliards de 2020, reflétant la reprise des transferts des
compagnies pétrolières.
La diversification des exportations, bien qu’encore modeste, a progressé durant cette période. Les exportations hors hydrocarbures sont passées de 1,91 milliard de dollars en 2020 à 4,58 milliards en 2021, portant leur part dans les exportations totales de 8,71% à 11,85%. Le secteur agroalimentaire a représenté 31,2% de ces exportations en 2021, suivi par les produits semi-finis
(28,4%) et les biens d’équipement industriels (22,7%).
Les mesures de restriction des importations, renforcées pendant la crise, ont ciblé 851 positions tarifaires. La facture alimentaire a été réduite de 23,11% en 2020, les biens d’équipement de 18,67%, et les biens de consommation de 13,84%. La structure des importations en 2021 montre
une prédominance des biens d’équipement (32,4%), suivis des demi-produits (23,7%) et des
biens alimentaires (18,9%).
Le taux de couverture des importations par les exportations est tombé à 61,69% en 2020, son plus bas niveau historique, avant de remonter à 103,12% en 2021. Cette amélioration relative masque toutefois la persistance d’une forte dépendance aux hydrocarbures, qui ont représenté 88,15% des recettes d’exportation en 2021.
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