En visite à Alger à l’occasion de la commémoration des massacres du 8 mai 1945, l’homme politique français Karim Zéribi a livré une analyse sans détour des relations franco-algériennes. À ses yeux, impossible de construire un avenir commun tant que la France
n’assume pas, pleinement et sincèrement, les crimes du passé colonial.
La venue de parlementaires français à Alger pour participer à la cérémonie de recueillement autour des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata a été perçue comme un geste fort. « C’est une initiative louable, qui traduit une volonté d’apaisement et de reconnaissance
historique », a salué Zéribi, ancien eurodéputé écologiste, aujourd’hui figure médiatique et politique influente. Mais au-delà du symbole, il pointe l’essentiel : « Pour avancer, il faut une relation équilibrée, franche, respectueuse. Et cela commence par la vérité sur l’histoire. » Karim Zéribi ne mâche pas ses mots : « En 1830, l’Algérie comptait trois millions d’habitants.
En 1870, il n’en restait que deux. Un million de morts : c’est un génocide. » Pour lui, la colonisation française n’a pas seulement été une domination politique, mais un système d’oppression sanglant, systémique et déshumanisant. Et le 8 mai 1945, symbole de la victoire contre le nazisme, reste pour les Algériens une date tragique : celle où des milliers de civils furent massacrés pour avoir osé réclamer leur liberté. « Ce deux poids, deux mesures est toujours là. La France célèbre la liberté pour elle-même, tout en l’ayant refusée à d’autres. »
Au-delà des relations bilatérales, Zéribi dénonce un climat politique français de plus en plus hostile envers ses concitoyens musulmans. « Il y a aujourd’hui une stigmatisation permanente. Être musulman en France, c’est être suspect par défaut », regrette-t-il. La question du port du foulard cristallise cette tension. « Des femmes sont exclues de la vie sociale, du débat public, juste parce qu’elles portent un voile. On parle d’interdiction sur la voie publique ! C’est une dérive grave. » Il dénonce une « laïcité sélective » : « Quand on célèbre Hanoukka à l’Élysée ou qu’on installe des crèches de Noël dans les mairies, personne ne crie à la laïcité. Mais quand il s’agit de musulmans, c’est un tollé. Ce n’est plus une laïcité, c’est une hostilité. »
Un pouvoir gangréné par une extrême droite banalisée
Karim Zéribi fustige également la radicalisation de la classe politique française. Selon lui, « la droite républicaine est morte. Ce qu’il en reste a adopté les obsessions de l’extrême droite : les musulmans, l’Algérie, l’immigration. » Il cite nommément Bruno Retailleau, récemment nommé ministre de l’Intérieur : « Ses priorités sont claires. La haine, en boucle. Et le pire, c’est qu’il représente un parti arrivé quatrième aux dernières élections. Où est la légitimité démocratique ? » Malgré la gravité de ses constats, Zéribi n’est pas dans la rupture, mais dans l’exigence. Il appelle à refonder la relation entre Alger et Paris sur des bases saines : vérité historique,
respect mutuel, intérêts partagés. « L’Algérie est un acteur stratégique au sud de la Méditerranée. La France est une puissance
européenne. Ensemble, elles peuvent bâtir un avenir commun. Mais pas dans le mensonge, pas dans le mépris. » Mais pour que cette relation se construise sur des bases solides, encore faut-il que la France accepte enfin de regarder l’Histoire en face. Pas en pointillés, pas à travers des gestes symboliques isolés, mais avec une reconnaissance claire et globale. « Il ne s’agit pas de repentance, l’Algérie ne l’a jamais demandée. Ce que le peuple algérien attend, c’est une reconnaissance », martèle Karim Zéribi, en écho aux déclarations répétées du président Abdelmadjid Tebboune.
Cette reconnaissance, encore partielle, s’incarne difficilement à l’heure où certains responsables politiques français, à l’image de Bruno Retailleau, continuent d’adopter un ton condescendant, voire néocolonial, à l’égard de l’Algérie. Les récentes prises de position
concernant l’affaire Boualem Sansal ont mis en lumière une instrumentalisation politique à des fins électoralistes. « Ce n’est pas la défense d’un homme. C’est l’usage d’un cas judiciaire comme levier pour nuire à l’Algérie sur la scène publique française », dénonce
Zéribi, pointant le deux poids deux mesures dans le traitement de ce dossier par rapport à d’autres cas similaires ailleurs dans le monde. Il rappelle d’ailleurs que plus de 1600 Français sont actuellement détenus à travers le globe, sans qu’aucune résolution parlementaire ne soit adoptée à leur sujet. « Où étaient ces voix lorsqu’un jeune Français de 32 ans, Théo Clair, a été condamné à trois ans de prison en Azerbaïdjan pour un graffiti ? », interroge-t-il, soulignant l’hypocrisie d’une indignation à géométrie variable. Au fond, ce que réclament les Algériens aujourd’hui n’a rien de radical : le respect. Respect de leur justice, respect de leur souveraineté, respect de leur histoire. Une histoire marquée par la colonisation, les tortures, les disparitions — longtemps niées, encore aujourd’hui
difficilement reconnues. À l’image de Larbi Ben M’hidi, figure de la révolution, qu’on a longtemps présenté comme suicidé avant d’admettre, tout récemment, qu’il est mort sous la torture. « Ce que les Algériens veulent, c’est pouvoir tourner la page. Mais pour tourner une page, il faut d’abord l’avoir lue, entièrement », insiste Zéribi. C’est dans cette vérité historique assumée que peut s’enraciner un avenir commun, fondé sur la confiance mutuelle et non sur la défiance. Car derrière les crispations actuelles, il y a un potentiel immense : une diaspora franco-algérienne forte de plus de cinq millions de personnes, des liens culturels profonds, une jeunesse des deux rives avide de coopérations. Encore faut-il que les voix qui prônent la haine, l’amnésie ou l’arrogance soient mises en
échec. Le défi est politique, mais aussi moral. Pour bâtir un futur sincère entre la France et l’Algérie, il faudra cesser de parler à travers l’autre, ou contre lui, et enfin commencer à parler avec lui.
Entre instrumentalisation politique et quête de respect
Mais pour que cette relation se construise sur des bases solides, encore faut-il que la France accepte enfin de regarder l’Histoire en face. Pas en pointillés, pas à travers des gestes symboliques isolés, mais avec une reconnaissance claire et globale. « Il ne s’agit pas de
repentance, l’Algérie ne l’a jamais demandée. Ce que le peuple algérien attend, c’est une reconnaissance », martèle Karim Zéribi, en écho aux déclarations répétées du président Abdelmadjid Tebboune. Cette reconnaissance, encore partielle, s’incarne difficilement à l’heure où certains responsables politiques français, à l’image de Bruno Retailleau, continuent d’adopter un ton condescendant, voire néocolonial, à l’égard de l’Algérie. Les récentes prises de position concernant l’affaire Boualem Sansal ont mis en lumière une instrumentalisation politique à des fins électoralistes. « Ce n’est pas la défense d’un homme. C’est l’usage d’un cas judiciaire comme levier pour nuire à l’Algérie sur la scène publique française », dénonce Zéribi, pointant le deux poids deux mesures dans le traitement de ce dossier par rapport à d’autres cas similaires ailleurs dans le monde.
Il rappelle d’ailleurs que plus de 1600 Français sont actuellement détenus à travers le globe, sans qu’aucune résolution parlementaire ne soit adoptée à leur sujet. « Où étaient ces voix lorsqu’un jeune Français de 32 ans, Théo Clair, a été condamné à trois ans de prison en Azerbaïdjan pour un graffiti ? », interroge-t-il, soulignant l’hypocrisie d’une indignation à géométrie variable. Au fond, ce que réclament les Algériens aujourd’hui n’a rien de radical : le respect. Respect de leur justice, respect de leur souveraineté, respect de leur histoire. Une histoire marquée par la colonisation, les tortures, les disparitions — longtemps niées, encore aujourd’hui difficilement reconnues. À l’image de Larbi Ben M’hidi, figure de la révolution, qu’on a longtemps présenté comme suicidé avant d’admettre, tout récemment, qu’il est mort sous la torture. « Ce que les Algériens veulent, c’est pouvoir tourner la page. Mais pour tourner une page, il
faut d’abord l’avoir lue, entièrement », insiste Zéribi. C’est dans cette vérité historique assumée que peut s’enraciner un avenir commun, fondé sur la confiance mutuelle et non sur la défiance. Car derrière les crispations actuelles, il y a un potentiel immense : une
diaspora franco-algérienne forte de plus de cinq millions de personnes, des liens culturels profonds, une jeunesse des deux rives avide de coopérations.
Encore faut-il que les voix qui prônent la haine, l’amnésie ou l’arrogance soient mises en échec. Le défi est politique, mais aussi moral. Pour bâtir un futur sincère entre la France et l’Algérie, il faudra cesser de parler à travers l’autre, ou contre lui, et enfin commencer à
parler avec lui.
Sonia.H