Face à l’indignation générale, le président Abbas édulcore ses propos
Alors qu’il était resté silencieux depuis l’attaque du mouvement Hamas le 7 octobre, les Palestiniens s’interrogeaient et s’attendaient probablement à une réaction ferme du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, telle que l’arrêt de la coordination sécuritaire avec l’Etat sioniste et une plus large implication pour rompre le blocus meurtrier sur Ghaza. Une fois qu’il a rompu le silence et qu’il s’est exprimé, il est beaucoup moins certain que le peuple qu’il est censé défendre soit content de tout ce qu’il a dit. C’est tellement honteux.
Lors de l’appel téléphonique, dimanche dernier, qu’il a eu avec son homologue vénézuélien Nicolas Maduro, le président Abbas a affirmé que «les politiques et les actions du Hamas ne représentent pas le peuple palestinien» et que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) est la seule représentante légitime du peuple palestinien, ce qui s’apparente à des critiques directes au mouvement du Hamas. C’est ce qu’a rapporté l’agence de presse officielle palestinienne Wafa, avant que la presse internationale ne reprenne largement ces déclarations, en faisant référence à cette agence.
Quelques heures plus tard, ce passage a été supprimé par l’agence Wafa et le terme Hamas n’apparaît plus dans le texte qui indique désormais que l’OLP est «le seul représentant légitime du peuple palestinien, et non les politiques de tout autre organisation». Bien que la Présidence palestinienne, si communicative sur Facebook et X, n’a pas encore émis des clarifications. M. Abbas a également appelé à la libération des «prisonniers et détenus» par les deux parties et a réitéré que le déplacement des habitants de Ghaza constituerait une «seconde Nakba». Dans la rue palestinienne, auprès de l’opinion publique arabe et musulmane, et même au sein du Mouvement Fatah (dépendant de l’Autorité palestinienne), l’incompréhension et l’indignation sont unanimement partagées. Au lieu de tenter de dépasser les lignes de division internes et d’adhérer à l’initiative de l’unification des rangs de toutes les factions de la résistance face à un ennemi déterminé à exterminer tout le peuple palestinien, avec la bénédiction de toutes les puissances occidentales, le président Abbas semble montrer, comme à son habitude, à quel point il est concentré sur une seule priorité : son maintien au pouvoir et sa légitimité aux yeux de Washington et Bruxelles. Le Fatah d’Abbas, qui contrôle la Cisjordanie, entretient des relations tendues avec le Hamas depuis que ce dernier a brutalement pris le contrôle de la bande de Ghaza en 2007, suite à des élections controversées. La quasi-totalité des Palestiniens s’opposent au discours d’«impuissance» et de «soumission» de M. Abbas et refusent de dénoncer le Hamas qu’ils acclament et auquel ils vouent un soutien inébranlable. Certains n’ont pas hésité à qualifier la sortie d’Abbas de «trahison» et l’ont incité à durcir le ton face à l’Etat sioniste, mais vu l’ampleur des pressions exercées par les Etats-Unis et l’Union européenne sur lui, peu d’observateurs s’attendent à ce qu’Abou Mazen change considérablement sa position.
Samedi, le président américain Joe Biden s’est entretenu avec M. Abbas, lui disant que «le Hamas ne défend pas le droit du peuple palestinien à la dignité et à l’autodétermination». Selon l’agence de presse Wafa, M. Abbas aurait souligné à Biden «la nécessité de mettre fin à toutes les attaques et de respecter le droit humanitaire international» à Ghaza. M. Abbas a également appelé à l’ouverture de «couloirs humanitaires» à partir de Ghaza pour acheminer l’eau, l’électricité, du carburant et des secouristes. Toutefois, Biden s’est montré sourd à ces revendications. L’ambassade des Etats-Unis à Tel-Aviv avait annoncé hier dans la matinée l’ouverture du passage frontalier entre Ghaza et l’Egypte, mais l’armée d’occupation a refusé, ce qui signifie bien que Netanyahou joue sur un terrain conquis face à l’impunité de Washington, contrairement à M. Abbas. Biden s’est entretenu au moins cinq fois avec Netanyahou depuis le déclenchement par le Hamas, samedi dernier, de l’opération «Déluge d’Al Aqsa» contre l’Etat sioniste L’administration Biden n’a pas dénoncé et condamné les exactions d’Israël contre des centaines d’enfants et de femmes, se contentant de «demi-mots» modérés et sans effet, comme le montre la situation dans la bande de Ghaza et le refus continu de l’armée d’occupation d’autoriser l’entrée des aides alimentaires et médicales.
Washington n’a rien fait, malgré les considérables concessions d’Abbas. Ce dernier s’est attaché au «rejet des pratiques liées au meurtre et au massacre de civils par les deux parties, appelant à la libération des prisonniers et des otages». Il a réaffirmé «le fait de renoncer à la violence, d’adhérer à la légitimité internationale, à la résistance populaire pacifique et à l’action politique comme moyen d’atteindre nos objectifs nationaux de liberté et d’indépendance». M. Abbas a adhéré également au document adopté à l’issue de la réunion extraordinaire du Conseil des ministres de la Ligue arabe, qui contient certaines clauses plaçant l’Etat palestinien et l’entité sioniste sur le même pied d’égalité, dont, pour rappel, l’Algérie a émis des réserves. Certains Etats de l’Union européenne, le bloc qui avait annoncé suspendre ses aides aux territoires palestiniens occupés suite à l’opération du Hamas avant de revenir sur sa décision, font pression sur M. Abbas pour le contraindre à s’exprimer clairement contre ce mouvement.
Mardi dernier, la ministre des Affaires étrangères allemande, Annalena Baerbock, a déclaré devant des médias : «A l’adresse des dirigeants palestiniens, nous disons clairement : distanciez-vous de cette terreur. Rien ne peut la justifier», avant d’ajouter : «En tant qu’Autorité palestinienne, vous avez des obligations, y compris envers votre propre population». Un message clair que les Européens sont prêts à mettre «en mode veille» leur fibre humanitaire et se taire sur le génocide à Ghaza, le temps que l’armée d’occupation en finisse avec le Hamas.
Hamid Mecheri