Une exceptionnelle démarche collaborative et extrêmement patriotique a permis la restitution d’une magnifique «moukahla», un fusil traditionnel datant de 1799.
Tout a débuté par un signalement émis par Maël Assal, un jeune étudiant algérien d’histoire sur cette œuvre spoliée à l’Algérie. La moukahla était mise aux enchères sur un site français spécialisé dans la vente d’objets d’art et d’antiquités. L’alerte a fait réagir les autorités algériennes, qui ont pris des mesures urgentes pour sa restitution et son rapatriement.
L’action de Maël Assal a empêché que cette pièce du patrimoine algérien tombe entre les mains des antiquaires et coursiers d’art, avides de telles œuvres inestimables. Un parfait exemple montrant à quel point le sentiment patriotique est intergénérationnel et continue à animer le peuple algérien, et notamment la jeunesse. Maël Assal fait des recherches sur internet sur des thèmes liés à l’histoire et le patrimoine de l’Algérie, lit des articles scientifiques qui traitent de ce sujet et vérifie les faits. Il n’hésite pas à partager ses remarques et conclusions sur les réseaux sociaux. Lorsqu’il constate des anomalies ou des faits préoccupants, il lance l’alerte et signale les irrégularités. Ce fut le cas lorsqu’il s’est rendu compte de la mise en vente aux enchères de ce fusil traditionnel algérien sur le site français «proantique.com».
«Objet exceptionnel»
Selon la description donnée par ce site, il s’agit d’un fusil à silex de fabrication artisanale algérienne, d’une longueur totale de 160,5 cm (canon de 124 cm), et datant de 1799. Pièce conservée en «super état», qualifiée même par les experts de cette maison d’enchères d’un objet «exceptionnel», qui a «certainement été réalisée pour un grand personnage du Royaume d’Algérie de la fin du XVIIIe siècle», la platine de ce fusil est recouverte d’un fort plaquage en argent ciselé et porte les mêmes date et signature que le canon, ce qui permet de dire que toutes les pièces de cette arme ont été réalisées en une seule fois par le même armurier. Le canon est en damas incrusté d’or, toutes les garnitures sont en or de 18 carats. Le décor des garnitures incrustées dans le bois sont d’un modèle sobre et élégant, fait de feuillages et rosaces qui vont sur la totalité du fut ; le talon de la crosse est en or massif, les bagues de maintien du canon au bois ont, elles aussi, le même décor, la baguette de chargement a, sur une longueur de 32 cm, une plaque en or décorée de feuillage. Dans une publication accompagnée de photos de cette pièce inédite sur les réseaux sociaux, notre lanceur d’alerte a écrit : «C’est la première fois que je vois une Moukahla du XVIIIe [siècle] de la sorte. Elle est splendide, si vous zoomez bien, vous verrez une flissa, un yatagan, une dague… sculptés sur la crosse».
Maël craignait que cet objet représentant une large et héroïque époque de la résistance algérienne prenne une autre direction. «Elle est mise aux enchères pour 6000 euros… Sa place est en Algérie, dans un musée. Que font les autorités ?» s’inquiète-t-il. Dès ce signalement, la mobilisation de la diaspora algérienne, mais surtout de l’Etat algérien, a été extraordinaire, s’est-il réjoui. «C’est un pur hasard. J’ai publié sur Twitter cette découverte. Et mon “tweet” a été retweeté une centaine de fois par beaucoup d’amis abonnés, parmi eux des journalistes dans des journaux algériens. Il y a une page sur Twitter qui est nommée “Union algérienne ”, dont l’administrateur, appelé “Harrys Brikh”, a partagé la publication. Ce dernier – Harrys Brikh – a été contacté par les autorités algériennes qui ont ensuite pris attache avec le recteur de la Grande Mosquée de Paris. Harrys a pu ainsi contacter le vendeur [sur le site de vente aux enchères] et l’objet est enfin récupéré», a indiqué Maël Assal à «e-Bourse».
Forte mobilisation
Grâce à la forte mobilisation suscitée par son tweet auprès de la diaspora nationale, et avec l’aide précieuse d’un intermédiaire de la présidence de la République algérienne et la contribution de la Grande Mosquée de Paris, ce fusil va pouvoir rentrer dans son pays d’origine, récupéré par l’Algérie, qui pourra l’ajouter à toutes les merveilles qui se trouvent dans ses musées au service du peuple et par ceux intéressés par l’histoire. Malgré le rôle majeur qu’il a joué en identifiant à temps cet objet historique et en alertant l’opinion et les pouvoirs publics, Mael ne veut pas parler de lui et en tirer une quelconque gloire. «Je n’ai aucune intention de parler au nom de tous ceux qui se sont mobilisés pour récupérer cette arme ancienne, cela s’est fait collectivement. Je n’y suis pour rien [dans cette découverte]. Je ne suis qu’un lanceur d’alerte», dit-il modestement. «Je faisais des recherches sur internet et je suis tombé par hasard sur cette annonce. D’ailleurs, il y a d’autres pièces algériennes qui sont mises aux enchères sur internet», ajoute-t-il. Même s’il n’est pas un spécialiste des objets d’art et de valeur, cet étudiant au département d’Histoire classique développe une passion pour les trajectoires des «dynasties musulmanes qui s’étaient établies en Algérie. Je suis intéressé par tout ce qui est art et patrimoine algérien. Cela m’intéresse au plus haut point vu que l’Algérie est ma patrie», a-t-il confié. Cette restitution intervient en pleine célébration de la Journée nationale de la Mémoire, commémorant l’anniversaire des massacres du 8 Mai 1945.
Mobilisation
Objets du patrimoine ancestral, monuments, pièces de musée, restes de crânes, manuscrits,… la restitution des trésors culturels algériens pillés durant l’époque coloniale française illustre la nouvelle orientation et la volonté des autorités de conserver l’héritage historique de la Nation algérienne. Initiée par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, la restitution des œuvres historiques algériennes exposées dans les musées français a été parmi les priorités de l’Etat et un enjeu majeur dans ses relations avec la France. Dans ses sorties médiatiques, le chef de l’Etat s’était engagé à maintes reprises à préserver «la mémoire collective». Un processus qui a commencé par le rapatriement des crânes de résistants algériens, après leur détention injustement pendant de très longues années dans le Musée de l’Homme à Paris, s’est ensuite généralisé vers d’autres œuvres et pièces historiques, dans une démarche d’efforts combinés entre les autorités officielles algériennes et la diaspora nationale installée en France. Dans le cas de la moukahla, il ne s’agit pas de la première annulation d’une vente aux enchères d’un objet historique algérien dans l’ancien pays colonisateur, intervenant grâce à la mobilisation collective des autorités algériennes et des Algériens de France. Un manuscrit islamique rare, qui remonte à 1659 et dont les autorités coloniales se sont accaparées en 1842, après une attaque menée par l’armée française contre l’Emir Abdelkader dans les montagnes de l’Ouarsenis, avait été récupéré début avril dernier. «La récupération de ce manuscrit de haute valeur historique et d’une grande symbolique a été rendue possible grâce à la conjugaison des efforts des pouvoirs publics, sur orientations directes du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, ainsi qu’aux membres de notre communauté en France qui se sont mobilisés, animés d’un haut sens de patriotisme, pour empêcher la vente aux enchères de ce manuscrit», s’était alors félicité le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger dans un communiqué.
Hamid Mecheri