À l’occasion du Salon international du livre d’Alger (SILA), l’écrivain Jugurtha Abbou présente son nouvel ouvrage, «Exceptionnelles algériennes», publié aux éditions Samar. Dans cet entretien, il revient sur les motivations derrière ce livre, son approche littéraire et son regard sur les femmes algériennes qui ont façonné l’histoire.
E.Bourse : Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Exceptionnelles algériennes ?
Jugurtha Abbou : «Exceptionnelles algériennes» est ma manière de rendre hommage à la femme algérienne, à ses combats et à son parcours, qui remontent à des milliers d’années. Les luttes des femmes algériennes ne datent pas d’aujourd’hui, mais de plusieurs siècles. Leur travail, leurs exploits et leur résilience m’ont inspiré à raconter leurs histoires. Dans ce livre, je mets en lumière le parcours de 18 femmes qui ont marqué notre histoire. Ce sont des militantes, des combattantes, mais aussi des médecins, des écrivaines, des poétesses, des sportives… Toutes ont laissé une empreinte indélébile dans l’histoire et dans divers domaines».
Pourquoi avoir choisi de mettre en avant les femmes algériennes comme des repères plutôt que de les définir uniquement comme mères, épouses ou filles ?
«Ces femmes étaient effectivement mères, épouses, filles, sœurs… mais elles étaient aussi de brillantes militantes, écrivaines, poétesses, médecins ou avocates. À travers ce livre, je veux montrer qu’une femme peut être mère et militante à la fois, sœur et grande journaliste, épouse et écrivaine, fille et médecin. Mon objectif est de transmettre un message aux femmes algériennes : elles ont des repères, des modèles à suivre. À elles de poursuivre ces chemins et d’aller encore plus loin».
Comment avez-vous sélectionné les dix-huit femmes décrites dans le livre ? Y a-t-il des critères particuliers ?
«Le choix a été difficile, je l’avoue. Il a fallu faire un travail de recherche et de sélection approfondi. J’ai essayé de trouver un équilibre en incluant des figures historiques comme des moudjahidates et des reines, à l’image de Kahina et Tin Hinan. J’ai également parlé de femmes de religion, de figures connues comme Djamila Boupacha, mais aussi d’autres moins connues comme Fatma Ben Othmane ou Gisèle Halimi. Mon objectif était de couvrir différents domaines et parcours : certaines sont mortes en maquis, d’autres ont contribué à l’Algérie indépendante, comme Nafissa Hamoud, devenue ministre, ou Aldjia Benallague, pionnière de la pédiatrie en Algérie».
Certaines femmes comme Fatma Tazougaght et Lalla Fatma N’Soumer sont célèbres pour leur bravoure. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans leurs parcours ?
«Ce qui m’a le plus impressionné, c’est leur foi en leurs idéaux. Elles croyaient profondément en une Algérie libre et indépendante et se sont battues jusqu’à la mort pour cela. Leur parcours montre une détermination extraordinaire, malgré les obstacles imposés par le colonialisme et parfois par notre propre société, qui n’acceptait pas facilement qu’une femme soit leader ou chef de guerre. Ces femmes ont bravé tous les interdits pour mener le combat de leur peuple. Aujourd’hui encore, des femmes algériennes relèvent des défis similaires pour réussir dans tous les domaines».
Quelle image de la femme algérienne souhaitez-vous transmettre à travers cet ouvrage ?
«Je veux montrer une femme forte, capable de relever tous les défis pour s’épanouir et réussir. L’image que je souhaite transmettre est celle d’une femme leader, accomplie, et qui inspire. Pour cela, j’ai adopté un style romancé dans mes portraits, afin de captiver le lecteur, notamment les jeunes. Mon objectif est d’attirer leur attention et de leur faire découvrir ces figures féminines importantes».
Vous évoquez la résilience de ces femmes. Pensez-vous qu’elles incarnent encore des valeurs qui parlent aux jeunes générations aujourd’hui ?
«Absolument. Prenons l’exemple d’Imene Khelif, qui a surmonté tous les préjugés et une guerre psychologique intense pour décrocher une médaille d’or et hisser le drapeau algérien parmi les nations. Cela rappelle des figures comme Hassiba Boulmerka, qui a également hissé haut notre drapeau dans les années 90. Ces femmes incarnent la résistance, la résilience, la bravoure et le courage, des valeurs intemporelles».
Certaines figures comme Fatima Ben Othmane ou Izza Bouzekri sont peu connues. Pourquoi est-il important de les mettre en lumière ?
«C’est essentiel car elles ont marqué leur époque par leur militantisme et leur métier. Fatima Ben Othmane, par exemple, était une journaliste talentueuse, qui travaillait à la radio française, ce qui n’était pas accessible à tout le monde à l’époque. Izza Bouzekri, quant à elle, a côtoyé les grands noms de la révolution algérienne et était l’épouse d’Abane Ramdane, puis du colonel Sadek Dehiles. Ces femmes méritent d’être célébrées pour leur valeur et leur impact».
Vous mentionnez l’influence de votre grand-mère et de votre père. Comment ont-ils marqué votre parcours d’écrivain ?
«Mon livre met en avant un personnage central, Tif Itrane, qui s’inspire de sa grand-mère et de son père pour découvrir ces femmes exceptionnelles. Nos parents et grands-parents sont comme des bibliothèques vivantes. Grâce à eux, nous découvrons notre histoire et apprenons chaque jour de nouvelles choses sur notre pays».
Pensez-vous que des récits littéraires comme le vôtre peuvent reconnecter les jeunes générations à l’histoire algérienne ?
«Oui, je le pense. C’est pour cela que j’ai choisi un style accessible, pour attirer de nouveaux lecteurs, notamment les jeunes. Au SILA, j’ai vu beaucoup d’intérêt de leur part pour notre histoire. Ils veulent découvrir, apprendre et comprendre».
Diriez-vous que ce livre est une lettre d’amour à l’Algérie à travers ses femmes ?
«Absolument»
Envisagez-vous d’écrire sur d’autres figures historiques ou des thèmes similaires dans vos prochains projets ?
«Oui, je compte écrire sur d’autres hommes et femmes qui ont marqué l’histoire de l’Algérie, qu’ils soient écrivains, militants ou hommes et femmes d’État. C’est un devoir de mémoire que je souhaite accomplir».
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs intéressés par l’exploration littéraire de l’histoire algérienne ?
«Je leur dirais de s’y lancer avec sérieux et passion, car l’histoire de notre pays est une richesse inestimable. C’est un trésor à préserver et à transmettre, et cela nécessite un travail rigoureux et objectif».
Propos recueillis par Sonia Hamoumraoui