Segment de déploiement de l’Algérie à l’international
Le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, qui était jeudi 18 avril à Tamanrasset, a plaidé pour un renforcement de la «diplomatie religieuse»comme élément de déploiement de l’Algérie dans le continent africain. «L’orientation vers la dimension africaine à travers la diplomatie religieuse revêt une grande importance eu égard aux rapports cultuels liant l’Algérie aux pays africains voisins via le déploiement des zaouïas (confréries) Tidjania, ElKadiriya et ElKountiya», a affirmé Youcef Belmehdi, qui s’exprimait à l’occasion de l’ouverture des travaux d’une conférence intitulée «Le message pionnier des imams à l’ère des défis contemporains»organiséepar la wilaya de Tamanrasset. La diplomatie religieuse, cultuelle ou confessionnelle existe depuis plusieurs siècles. De nombreux pays ont développé des mécanismes de conduite de relations internationales en usant de leviers religieux. Le Vatican, à titre d’exemple, est considéré comme l’Etat qui dispose du plus grand réseau diplomatique à travers le monde. Cet Etat s’appuie également sur des organisations pour intervenir dans certains pays. On se souvient encore de «l’initiative politique» que la communauté de Sant’Egidio avait tenté d’imposer à l’Algérie.
Liens forts avec l’Afrique subsaharienne
Sans allerpour autant dans le sens de ce type d’actions d’ingérence – qui sont contrairesà notredoctrine politique-,l’Algérie dispose d’atouts certains en matière de diplomatie cultuelle. Le professeur Ahmed Kateb, chercheur en relations internationales,confirme la vision du ministre des Affaires religieuses. Pour lui, l’Algérie a un potentiel important grâce aux principales confréries soufies. «Les confréries représentent un lien très important sur les plans cultuel, culturel, sociétal et anthropologique entre les populations en Algérie et celles du Sahel. Il faut savoir queles confréries qui essaiment l’Afrique subsaharienne trouvent leurs référents en Algérie, notamment la TariqaTidjania dont le siège est situé dans la wilaya de Laghouat, la TariqaKadiria dans la wilaya de Ouargla, et la TariqaKountia, qui essaime aussi plusieurs pays subsahariens. C’est le cas notamment du Nigeria, du Niger et du Mali. Nous devons prendre en considération aujourd’hui que la diplomatie cultuelle est un segment très important, déterminant parfois, qui peut aider la diplomatie dite traditionnelle dans ses actions», explique-t-il. Selon le professeur Kateb, la diplomatie cultuelle offre l’avantage de s’adresser directement aux populations contrairement aux autres diplomaties, qu’elles soient gouvernementales où parlementaires. «La diplomatie cultuelle est une diplomatie directe qui est en contact avec les populations et qui touche les référents et les symboles. Dans le cas de ces confréries, les symboles de ces différentes populations, de telle ou telle Tariqa, sont d’origine algérienne. Donc,l’Algérie a un grand rôle à jouer pour pouvoir déterminer les positions, agir sur les actions et avoir également des leviers de pression sur des Etats et sur des régimes par le biais des membres de ces confréries religieuses», a-t-il ajouté.
Le poids de la Tidjania
Le professeur Ahmed Kateb cite le cas de la TariqaTidjania, dont le centre spirituel se situe à AïnMadhi,qui est un levier incontournable dans la classe politique et la société sénégalaise, qui fait l’objet de tentatives de détournement de la part du Makhzen. «La TariqaTidjania qui a pignon sur rue au Sénégal est un acteur majeur dans ce pays. Cette confrérie est devenue un enjeu entre l’Algérie et le Maroc. Ce pays veut faire croire aux affiliés que la Tidjania est originaire de Fès, alors qu’historiquement, religieusement et politiquement,le siège et le noyau de la Tariqa est àAïnMadhi, dans la wilaya Laghouat. Il y a quelques années, il y a eu un renforcement des relations entre l’Algérie et le Sénégal par le truchement de cette confrérie, ce qui n’a pas du tout plu aux autorités marocaines. Elles ont donc redoublé de férocité pour reprendre le contrôle Tidjane du Sénégal. L’Algérie continue de miser sur une action dynamique de cette confrérie, surtout que ce pays est devenu un partenaire économique».L’Ibadisme,«qui n’est pas une confrérie mais un rite à part entière comme le rite Malékite l’est pour le sunnisme», peut également servir à tisser des liens forts au Moyen-Orient et dans certaines parties d’Afrique de l’Est. «Les Ibadites du M’zab sont des relais très importants avec le Sultanat d’Oman ainsi qu’avec la Tanzanie, notamment Zanzibar. Ce trait d’union remonte au Cheikh Mohamed Ibn Youcef Atfaiyash (1820-1914) qui est considéré comme une autorité religieuse pour les musulmans du rite Ibadite», souligne M. Kateb.
«Non-alignement» religieux
La question qui s’impose est de savoir pourquoi l’Algérie a autant tardé pour mettre en œuvre des mécanismes de renforcement de cette diplomatie ? Pour le professeur Kateb, les raisons sont essentiellement d’ordre «historique». «Parmi ces raisons, nous pouvons citer le rapport conflictuel avec les confréries religieuses, conflit qui remonte à l’histoire du Mouvement national. Certaines zaouïas ont été accusées d’avoir prêté main forte à la colonisation française. L’association des Oulémas avait attaqué ces confréries, accusées de propager des rites d’un autre âge. Aujourd’hui, il y a aune conscience du rôle politique des confréries et leur rapport à l’action diplomatique du pays», dit-il. En fait, l’un des avantages de l’Algérie est son «non-alignement» au sein de la communauté musulmane internationale. Selon le chercheur en relations internationales, l’Algérie est effectivement «le pays de l’Islamdu juste milieu». «Le fait de qualifier la position de l’Algérie sur le plan cultuel de ‘‘non-alignée’’ est assez correct. Ce n’est pas un pays de prosélytisme, d’activisme religieux. Elle ne soutient pas de courants idéologico-religieux. L’Algérie, qui a souffert seule de l’hydre terroriste durant les années 1990, est parmi les pays les mieux placés pour promouvoir l’Islam du juste-milieu et de la tolérance pour ne pas donner de crédit à toute tentative de prosélytisme qu’elle soit d’autres courants religieux, d’autres rites islamiques ou des rites d’autres confessions. L’Algérie, qui fait la promotion du vivre-ensemble, pense que le rôle de la diplomatie religieuse est éminemment pacifique afin de trouver des solutions aux problèmes d’interprétation des textes religieux», explique le professeur Ahmed Kateb. Reste maintenant à définir une réelle stratégie et à désigner des organismes pour conduire cette diplomatie cultuelle en coordination avec les actions du gouvernement et celle mise en œuvre par les deux chambres du Parlement. Pour cela, l’Etat peut s’appuyer sur au moins trois institutions : le ministère des Affaires religieuses, le Haut conseil islamique (HCI) et le rectorat de Djamaâ ElDjazaïr.
T.Hafid