Chercheur connu et reconnu, auteur de plusieurs ouvrages sur le développement et les enjeux économiques au Sahel, Diabaté Jibrila Diop, chercheur sénégalais et expert en développement, s’exprime sur des sujets qui sont à cheval entre le politique, l’économique, le sécuritaire et le développement régional.
Quand on parle du Sahara, on imagine souvent le pétrole, une richesse que certains pays occidentaux veulent contourner, voire dépasser, pour le schiste. Pourquoi ?
Oui, c’est clair, et la raison en est toute simple : quand on ne possède pas, on décrie ce que les autres possèdent. Si le pétrole était entre les mains des Occidentaux, le prix en serait inaccessible pour les Africains, on nous le vendrait comme la prunelle de nos yeux. Mais la nature a fait que ce sont les pays du Sud qui en possèdent, et ces pays doivent être vigilantspour leurs intérêts.
Mais, en tout état de cause, le pétrole reste le pétrole, c’est-à-dire la première et la plus importante ressource énergétique, la ressource qui fait et défait les Etats et les gouvernements, et qui produit les affrontements et la paix.C’est le motif et la ressource sans lesquels les puissants ne sont pas des puissants et avec lesquels les faibles ne seraient plus des faibles.
Aucune nation ne peut s’élever au cimes de la civilisation et de la puissance sans des ressources énergétiques suffisantes.
Et l’Algérie en possède, à satiété…
Donc, heureusement, sinon l’Algérie ne serait pas l’Algérie. Effectivement, l’Algérie possède une denrée rare et importante, puissante et influente, et il ne faut pas céder aux illusions de ceux qui cherchent à contourner ce produit irremplaçable.
Le gaz de schiste ressemble pour le moment à des illusions, même si on fait miroiter à certains producteurs le fait qu’elle en possède en quantités limitées ou que l’avenir s’inscrit loin du pétrole. Tout cela est illusion et fausse propagande de guerre économique. On ne jette pas ce qu’on possède pour une autre ressource qui n’a pas encore prouvé quels en sont les bénéfices et quelles en sont les désavantages, comme il ne faut pas jeter ce qu’on a entre les mains et se lancer dans des projections futuristes.
En tant qu’expert du Sahel, vous observez certainement les développements sécuritaires dans la région avec appréhension…
De toute évidence, oui, et c’est ce je fais au Sénégal, en lançant des alertes périodiques aux décideurs. La guerre au Mali est ce qu’il y a aujourd’hui de plus inquiétant. Entre Bamako et l’Azawad, c’est la rupture brutale, c’est le casus belli, brusque et sans appel. Les préparatifs à la guerre d’usure sont là, le décor a été planté et rien ne peut faire faire machine arrière aux belligérants aujourd’hui. De plus, le jeu des stratégies des puissances est tel qu’il encourage les belligérants à aller dans cette voie sans issue. On vend des armes aux deux camps en conflit et on attend que les choses explosent pour en profiter. Les Africains, malheureusement, jouent le rôle de l’idiot utile.
Il n’y a pas que le Mali, en Libye également les choses ne présagent rien de bon…
C’est tout à fait clair. Le conflit au Mali, les prodromes de la guerre civile en Libye, la circulation d’armes lourdes dans la région saharo-sahélienne, c’est le triste héritage franco-atlantiste de 2011 et qui sonne comme une bombe à retardement. Les Occidentaux disent souvent que le chaos généré en Libye provient des armes de Kadhafi… Mais n’oublions pas que les armes de Kadhafi ne sont tombées entre les mains des milices qu’après le meurtre de Kadhafi, et que cette mort a été voulue par les Occidentaux, tous, sans exception. Puis, n’oublions pas les armes livrées par la France et le Qatar aux opposants de Kadhafi. La France et l’Otan voulaient contrecarrer la politique africaine du colonel Kadhafi, ça c’est un fait indéniable. La situation actuelle ? Ils en portent la lourde responsabilité et c’est une des causes de son renversement.
Pourtant au Nord-Mali, les Accords d’Alger avaient pu pacifier les Maliens entre 2015 et 2023. Pourquoi Bamako s’est détachée de ce plan de paix ?
Au début, disons vers 2011-2012, les Etats-Unis et la France ne semblaient pas étrangers à la détérioration de la situation au Sahel. ATT, avant sa chute, accusait Paris de soutenir la rébellion, le MNLA, reçu en catimini à l’Elysée, alors que Washington a bel et bien dispensé des entraînements militaires au chef des putschistes aux Etats-Unis mêmes, dans le cadre de la lutte antiterroriste. Y a-t-il des menées souterraines que nous ignorons ? Très possible.
Par la suite, armes et équipements militaires sont arrivés à Bamako, et la junte a trouvé qu’elle est mieux équipée, plus puissante et mieux outillée. De ce fait, elle a fait la faute qu’il ne fallait pas faire : s’estimer plus importante pour refaire les choses. Or, c’est là le problème : on ne calcule jamais la puissance de l’ennemi. La bataille de Tin-Zaouatine a démontré qu’en la matière il ne faut jamais sous-estimer personne.
Les Accords d’Alger avaient ce bénéfice d’aller droit au but et de proposer des solutions sur le long terme. Le développement du pays, des perspectives pour les jeunes, des projets porteurs et un désenclavement du Nord. A Bamako de faire aujourd’hui un retour d’expérience et d’apprécier les gains et les pertes. Ce faisant, je suis certain qu’elle reviendra à de meilleurs sentiments avec Alger.
On parle moins du bassin de Taoudenni, qui fait baver les puissances…
Le bassin saharien de Taoudeni – du nom d’un petit village malien –, qui s’étend de la Mauritanie au nord du Mali et sur une partie du Sud algérien ? est le nouveau champ de bataille des pétroliers et des chercheurs d’uranium occidentaux, pour le plus grand malheur des Touaregs et des Maliens.
IL y a quelques années, dans son rôle de factotum des Etats-Unis et de Nicolas Sarkozy, l’émir al-Thani a carrément menacé l’ancien président mauritanien Ould Abdel Aziz d’utiliser al-Jazeera pour le renverser s’il ne portait pas au pouvoir un parti islamique à la solde du Qatar. La réponse fut un non catégorique. Par la suite, le Qatar a essayé un semblant de « Printemps arabe » à Nouakchott. Puis, il est entré dans le groupe pétrolier Total – un des principaux intervenants au nord du Mali – en acquérant 2% de son capital pour plus de deux milliards d’euros.
Le sous-sol malien largement inexploré renferme cinq bassins au potentiel pétrolifère : le bassin de Taoudeni ? au nord, le fossé de Gao, le bassin de Iullemeden, de Tasmena, à l’est ? et le fossé de Nara au centre. Le bassin de Taoudeni sur lequel s’était engagée Sonatrach est celui qui présente le plus grand potentiel pétrolifère. La crise est-elle venue toute seule pour tout chambouler ? Permettez-moi de rester dubitatif. Ce bassin possède une géologie proche de celle du bassin d’Illizi en Algérie. Taoudeni est un bassin pétrolifère situé entre l’Algérie, le Mali et la Mauritanie. Ses potentialités sont énormes ! On dit qu’il sera le futur réservoir de l’Afrique, et c’est pour cette raison qu’il attise convoitises et appétits de la part des puissants. Le groupe pétrolier français Total était en train d’explorer le bassin pétrolier de Taoudeni, localité située dans l’extrême nord, non loin de la frontière algérienne, avant la crise qui l’a soufflé avant 2012. Total avait, à la clé, une « autorisation » dûment signée les autorités maliennes. Or, officiellement, aucune concession n’a été faite à la France sur les bassins sédimentaires maliens. Ni pour leur exploration, ni pour leur exploitation. Pour le moment, Total observe un recul tactique et attend comment se développent les choses.
Les choses sont floues tant que les tensions persistent au Nord-Mali, et dès que la paix va revenir, la visibilité de beaucoup de transactions douteuses éclatera au grand jour, comme par exemple l’or qu’on vend clandestinement à des puissances régionales et internationales.
Propos recueillis par Fayçal Oukaci