Boumédiène Derkaoui, ex-haut cadre de l’Industrie et ex-PDG de Saidal, à e-Bourse: « L’industrie militaire a montré l’exemple, et l’industrie civile doit s’eninspirer»

0
Boumédiène Derkaoui
Boumédiène Derkaoui

Un parterre d’universitaires, hauts cadres de l’Etat, chefs d’entreprises et
chercheurs ont suivi samedi, la Conférence de Boumédiène Derkaoui, éminent
spécialiste en industrie et haut cadre de l’Etat, aujourd’hui consultant auprès
d’entreprises nationales et internationales, ont suivi avec attention la conférence
donnée par Boumédiène Derkaoui à la salle des conférences d’Elsecom.
Parrainée par l’Association algérienne de management de projet (APMA), la
conférence a drainé également plusieurs médias, notamment ceux spécialisés en
économie.
La Conférence portait sur « la Gouvernance des entreprises publiques
économiques » et livrait des informations intéressantes et très peu connues du
grand public sur les débuts de l’industrialisation, les objectifs atteints ou non
atteints par l’industrie sous Boumédiène et Chadli, les failles, les réformes et les
perspectives qui s’offrent aujourd’hui, à une Algérie mise en demeure de réussir
et de relever le défi.
Le Conférencier, Boumédiène Derkaoui, avait été une éminence économique par
le passé, conseiller de plusieurs ministres et consultant incontournable. Il a été
tour à tour cadre de Sonipec, chercheur CENEAP, chef de cabinet du ministère
du Travail, Conseiller et Directeur au ministère de l’Industrie lourde, PDG de
Saidal, Pdt Directoire Holding, secrétaire général au ministère de la Participation
et de la coordination des réformes, et consultant auprès d’entreprises nationales
et de cabinets nationaux et internationaux.
Vous êtes toujours attentif aux entreprises publiques, qui représentaient
certes, le fleuron de l’économie nationale à votre époque…
Sans aucun doute. Je parle d’une époque où le gestionnaire était avant tout un
patriote qui n’hésitait pas à prendre le risque de bien faire au péril de sa santé et
son bien-être. On préparait des documents, on élaborait des conventions et des
mesures en restant au bureau jusqu’à minuit pour ne pas perturber les affaires
courantes pendant la journée. On est sidéré par ce qu’il en est advenu des
entreprises publiques après les années 2000.Tout ce que nous avions préparé,
élaboré, mis sur rails et qui marchait bien, a été mis de coté et oublié. On a fait
table rase des meilleures mesures qui faisaient fonctionner les entreprises
publiques au quart de tour.

Je parle des entreprises publiques et de la nécessité de revenir aux réformes, ou
du moins à l’esprit des réformes, telles qu’elles avaient déjà imaginées à partir
de 1988, puis de tirer les leçons des expériences qui se sont déroulés par la suite,
aussi bien durant la décennie des années 1990 que durant la décennie des années

  1. Car aujourd’hui, ce que nous voyons, c’est que les entreprises se sont
    éloignées de cet esprit-là, qu’elles soient placées dans une forme de gestion
    sectorielle, puisqu’on ne parle plus de gestion de participation de l’Etat, mais
    d’une forme de gestion sectorielle. Chaque ministère a des entreprises dont il
    dispose à sa guise, et on est très loin de l’autonomie des entreprises, telle qu’elle
    est préconisée par les textes.
    Nous avons été tous séduit par les réalisations de l’industrie militaire lors de
    la Foire du produit national à la Safex ; peut-on dire que cette institution
    pourrait jouer le rôle de la locomotive pour les industries civiles et tracter si
    l’on peut s’exprimer de la sorte les entreprises nationales à la traine, montrer
    le chemin en quelque sorte ?
    Je pense que forte de son organisation, de sa qualité intrinsèque et de ses
    ressources, l’industrie militaire a montré l’exemple. Ce qui se fait au sein de
    l’industrie militaire, on doit s’en inspirer pour faire avancer l’industrie civile. Le
    pays ne manque pas de compétences, ne manque pas de ressources, simplement
    il faut les mobiliser et mettre les dispositifs nécessaires pour que la priorité doit
    être donné à l’intégrité et à la compétence. Car si nous ne mettons pas en
    première ligne, l’intégrité et la compétence, je dirais aussi le patriotisme, dans
    ces moments difficiles, difficiles pour l’humanité et non pas uniquement pour
    l’Algérie, car quand on voit se qui se trame au Moyen-Orient et ailleurs, il y a
    lieu de tirer les leçons et les enseignements, en ayant à l’esprit d’avoir une
    économie forte et diversifiée pour pouvoir assurer notre indépendance
    économique, et de ce fait, politique.
    Où en est-on avec la dépénalisation de l’acte de gestion ?
    La probité, l’intégrité et la compétence. Il faut revenir à ces fondamentaux en
    tout acte de gestion pour avancer. J’ai travaillé avec plusieurs ministres et j’ai
    reçu de leur part des demandes, voire des « exigences », auxquelles je n’ai pas
    répondu. J’ai envoyé « balader » certains ministres de l’époque qui
    demandaient, voire exigeaient des privilèges indus, comme contracter des
    contrats douteux ou de recommander des proches parents. Je n’en suis pas mort
    pour autant. Cela prouve qu’on peut avancer avec la probité et ne pas succomber
    aux connivences et aux complaisances qui ont totalement massacré notre
    économie.
    Concernant l’acte de gestion, il faut comprendre qu’un responsable n’est plus un
    entrepreneur ; mais est-ce que nous sommes dans cette optique que le dirigeant
    est un risqueur, qui prend un pari risqué lorsqu’il trouve que l’intérêt de son

entreprise est justement dans la prise de risque ? La non dépénalisation de l’acte
de gestion a fait que des responsables ont peur de signer le moindre document ;
la dépénalisation de l’acte de gestion est un effet d’annonce non encore une
réalité. Tant que les chefs d’entreprises sont considérés comme des agents
publics on n’en est pas encore sorti.
Les directeurs d’entreprises publiques sont à ce jour pris pour des agents
publics, et tant que la loi de la lutte contre la corruption est de vigueur, le risque
persiste pour le responsable. Moi, personnellement, j’ai toujours plaidé pour la
suppression de cette loi, qui « ligote » le responsable, et on voit bien
aujourd’hui, la paralysie. Un DG de la Justice m’avait dit qu’il était de l’ordre de
l’« impossible d’accéder a votre demande », parce que l’Algérie a ratifié une
convention internationale, et cette loi est un engagement après la ratification de
la loi de la lutte contre la corruption et la transparence. On l’a vu, parfois, une
simple décision a mis en faillite plusieurs entreprises.
Que préconisez-vous, l’actualité étant à ce point « brulante » ?
Face aux périls multiformes qui enserrent le pays, je préconise de renforcer le
front intérieur ; c’est cela qui doit être le slogan : « renforcer le front intérieur ».
L’Algérie a une histoire, ancrée et qui va loin dans le temps, bien avant la guerre
de Libération, qui va à l’Emir Abdelkader et bien encore plus loin ; nous avons
un peuple de résistants, un peuple qui s’est toujours battu pour cette terre
irriguée de sang; notre peuple, fort de son histoire, est difficile à déloger ; ceci
étant, nous devrions quand même demeurer vigilants et renforcer, comme je le
dis et le répète, le front intérieur.
Ce qui s’est passé récemment concernant l’arrestation de l’écrivain renégat,
Boualem Sansal, ainsi que son compère qui est resté de l’autre côté, montre la
mobilisation de l’extrême-droite et des sionistes à l’égard de notre pays. Ce fut
un petit événement mais qui a montré toute la montée des forces ennemies à
l’égard de l’Algérie, à laquelle ils ne pardonneront jamais son statut de nation
libre.

Propos recueillis par Fayçal Oukaci