Les participations et placements affichent une évolution contrastée
Par Yacine Merzougui
Dans le prolongement des études que je réalise constamment sur les finances du pays, j’ai préféré cette fois-ci, me pencher sur le rôle de l’Etat dans l’outil économique à travers ses participations et placements dans divers secteurs économiques. Une étude inédite qui servirait de référence pour les chercheurs, un document inédit. Il faut d’ailleurs l’avouer, le modèle algérien demeure unique au monde et nécessite une compréhension autre que celles pratiquées ailleurs.
Les participations et placements de la Banque d’Algérie ont connu des fluctuations significatives entre janvier et novembre 2024, oscillant entre 7 783 milliards et 8 082 milliards de dinars. Cette volatilité reflète les ajustements stratégiques de l’institution monétaire face aux évolutions du contexte économique national et international. L’examen des situations mensuelles révèle une progression constante du poste « participations et placements » durant le premier trimestre 2024. De 7 960,27 milliards de dinars en janvier, ce
montant a grimpé à 8 042,76 milliards en mars, soit une hausse de 82,49 milliards de dinars. Cette dynamique ascendante s’est poursuivie en avril avec un pic à 8 082,73 milliards de dinars, marquant le niveau le plus élevé de la période sous revue. Le mois de mai a enregistré un léger recul à 8 078,91 milliards de dinars, suivi d’une baisse plus prononcée en juin avec 8 015,17 milliards. Cette tendance baissière s’est temporairement inversée en juillet, où les participations et placements ont rebondi à 8 052,14 milliards de dinars, avant de redescendre à 8 076,52 milliards en août.
La période septembre-novembre a été marquée par une contraction notable de ce poste. Septembre 2024 a affiché 7 909,89 milliards de dinars, puis octobre a enregistré le niveau le plus bas de l’année avec 7 783,32 milliards. Novembre a montré un léger redressement à 7 866,16 milliards de dinars, mais demeure inférieur aux niveaux du début d’année. Ces variations s’inscrivent dans un contexte où l’ensemble de l’actif de la Banque d’Algérie a également fluctué, passant de 18 310,22 milliards de dinars en janvier à 17 274,05 milliards en novembre. Les participations et placements représentent ainsi une part substantielle du bilan, oscillant entre 43,5% et 46,8% de l’actif total selon les mois. Parallèlement, les souscriptions aux organismes financiers multilatéraux et régionaux ont suivi
une trajectoire différente. Stables autour de 384-388 milliards de dinars en début d’année, elles se sont maintenues à 386,46 milliards depuis septembre, illustrant l’engagement constant de l’Algérie dans la coopération financière internationale.
L’évolution des participations et placements doit être analysée à l’aune des autres composantes majeures du bilan. Les titres émis ou garantis par l’État ont connu une réduction progressive, passant de 6 589,41 milliards de dinars de janvier à août, à 6 519,41 milliards en octobre et 6 384,41 milliards en novembre. Cette diminution de 205 milliards de dinars traduit une stratégie de désengagement partiel de la banque centrale vis-à-vis de la dette publique. La gestion des pensions a également évolué de manière significative. Après avoir oscillé entre 1 628 et 1 638 milliards de dinars en première partie d’année, ce poste a chuté drastiquement à partir de juillet pour se stabiliser autour de 796 milliards en fin de période. Cette réduction de moitié s’explique par l’arrêt des opérations avec le secteur privé, les pensions publiques demeurant seules actives. Les avoirs en devises ont montré une volatilité importante, variant de 756,33 milliards de dinars en mars à 986,63 milliards en octobre. Cette amplitude de 230 milliards illustre les pressions exercées sur les réserves de change dans un contexte de tensions sur les marchés internationaux des matières premières. L’analyse historique des bilans de la Banque d’Algérie révèle que les participations et placements constituent traditionnellement l’un des piliers de sa stratégie d’investissement. Ces instruments permettent à l’institution de diversifier ses actifs tout en soutenant le développement économique
national. La période 2024 s’inscrit dans cette continuité, malgré les ajustements conjoncturels observés. La structure du passif confirme le rôle central de la Banque d’Algérie dans l’économie nationale. Les billets et pièces en circulation ont progressé de 8 215,14 milliards de dinars en janvier à 9 013,31 milliards en novembre, soit une hausse de 798 milliards reflétant l’expansion de la masse monétaire. Cette croissance s’accompagne d’une gestion prudentielle maintenant les réserves à 1 042,07 milliards de dinars depuis juillet et les provisions à 1 500 milliards de dinars sur l’ensemble de la période.
L’évolution contrastée des participations et placements de la Banque d’Algérie en 2024 montre clairement la complexité de la gestion monétaire dans un environnement économique en mutation. Les fluctuations observées reflètent les arbitrages nécessaires entre rentabilité, sécurité et soutien à l’économie nationale, dans un contexte marqué par les incertitudes géopolitiques et les tensions sur les marchés financiers internationaux.
Y.M
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Politique monétaire et investissements
Les placements stratégiques des banques centrales
Dans un monde financier en constante évolution, les placements et participations des banques centrales figurent parmi les instruments les plus discrets mais aussi les plus influents de la politique économique. Bien au-delà de leur rôle traditionnel de contrôle de l’inflation ou de gestion du taux d’intérêt, ces institutions disposent d’un levier puissant : leurs portefeuilles d’actifs. En Algérie comme ailleurs, ces investissements ne se limitent pas à une simple gestion de liquidités. Ils incarnent une stratégie globale de préservation de la valeur nationale, de soutien aux secteurs clés de l’économie et de stabilisation financière à long terme.
Les banques centrales détiennent généralement trois grandes catégories d’actifs : les réserves en devises étrangères, les titres publics internes et les participations directes dans des institutions financières ou industrielles. Ces choix de placement reflètent à la fois des
impératifs de sécurité, de rendement et d’influence économique. En Algérie, où l’économie reste fortement dépendante des revenus pétroliers, la Banque d’Algérie joue un rôle central dans la diversification des sources de financement à travers ses opérations de capital- investissement et ses participations dans le tissu bancaire national. L’une des formes les plus anciennes de participation remonte à la création de la Banque d’Algérie en 1962. Dès les premières années de l’indépendance, l’institution monétaire s’est vu attribuer des parts dans plusieurs banques publiques issues de la nationalisation du secteur bancaire colonial. Cette mainmise sur le crédit national visait à garantir un contrôle étatique total sur les flux financiers, dans un contexte de construction d’un État moderne et
souverain. Les participations dans la Banque Nationale d’Algérie (BNA), la Caisse Nationale d’Épargne et de Prévoyance (CNEP) ou encore la Banque Extérieure d’Algérie (BEA) ont ainsi constitué pendant des décennies des outils de financement indirect de l’économie.
Au fil des réformes économiques amorcées dans les années 1990, ces positions ont évolué. La libéralisation du secteur bancaire a conduit à une ouverture progressive du marché, avec l’apparition de banques privées et d’institutions financières indépendantes. La Banque d’Algérie, tout en conservant une influence notable dans les grands groupes bancaires publics, a diversifié ses investissements en s’intéressant notamment aux fonds d’investissement, aux sociétés de gestion de patrimoine et aux projets immobiliers financés
par le secteur bancaire. Ce changement marquait une volonté accrue de rentabilité et d’adaptation aux normes internationales de gestion des actifs. En 2003, une importante réforme des statuts de la Banque centrale algérienne permit une gestion plus autonome de ses participations. Le texte autorisait explicitement l’institution à agir en tant qu’actionnaire actif, non seulement pour des raisons stratégiques, mais aussi pour optimiser le rendement de ses actifs. Dès lors, les dividendes perçus par la Banque d’Algérie sont devenus une source de financement complémentaire, souvent utilisée pour alimenter les réserves de change ou contribuer au budget de l’État dans des périodes de tension budgétaire. Les crises monétaires et financières internationales ont néanmoins rappelé les risques
inhérents à ces stratégies. Lors de la crise de 2008, les chocs boursiers mondiaux se sont traduits par une baisse sensible des bénéfices des banques contrôlées par la Banque centrale.
À cette période, les pertes latentes sur certains placements obligataires et actions ont mis en lumière la vulnérabilité des portefeuilles même des banques centrales. Cette expérience a incité à un recentrage prudentiel, marqué par une préférence accrue pour les actifs sécurisés et les investissements à long terme. Depuis 2015, date à laquelle la chute des prix du pétrole a profondément affecté les finances publiques, les placements de la Banque centrale ont pris une importance accrue. Face à la raréfaction des recettes pétrolières, les transferts annuels de profits réalisés grâce aux participations bancaires ont permis de compenser une partie des déficits budgétaires. Ce mécanisme, désormais inscrit dans les lois de finances, illustre comment les placements stratégiques peuvent jouer un rôle de tampon dans les phases de crise économique.
À côté de ces participations directes, la Banque d’Algérie dispose également d’un important portefeuille d’obligations publiques. Ces titres, émis par le Trésor, constituent un moyen indirect de refinancer l’État sans passer par une augmentation directe de la masse monétaire. En achetant ces obligations sur le marché primaire ou secondaire, la Banque centrale permet de stabiliser les taux d’intérêt à long terme et de faciliter le financement des grands projets d’infrastructure. Un autre volet important des placements concerne les investissements dans les technologies financières et les innovations bancaires. Depuis quelques années, la Banque d’Algérie encourage activement la modernisation du système bancaire à travers des participations dans des plateformes numériques, des solutions de paiement électronique et des systèmes de transfert sécurisés. Ces initiatives répondent à une double logique : anticiper les mutations
technologiques et renforcer la résilience du système financier national face aux chocs externes.
Malgré leur impact économique, ces politiques restent largement méconnues du grand public. Pourtant, chaque décision prise par la Banque centrale en matière de placement influence, à terme, la disponibilité du crédit, le coût de l’emprunt et même la stabilité
macroéconomique globale. Elles montrent que la fonction monétaire dépasse aujourd’hui le simple contrôle de la masse fiduciaire : elle inclut une vision stratégique du capital, de l’innovation et de la gouvernance économique.
En somme, les participations et placements des banques centrales ne constituent pas simplement des actifs financiers, mais bien des leviers de politique économique. En Algérie, comme dans d’autres pays émergents, ces opérations reflètent une ambition à la fois
prudentielle et offensive : protéger les réserves nationales tout en stimulant le développement économique durable. Dans un environnement mondial marqué par l’instabilité géopolitique et les turbulences financières, cette gestion fine et stratégique des actifs apparaît plus que jamais comme un pilier essentiel de la souveraineté économique.
Y.M
Les établissements bancaires algériens
Les comptes des banques connaissent des fluctuations importantes
Les comptes des banques et établissements financiers algériens ont enregistré des variations substantielles entre janvier et novembre 2024, oscillant entre des pics de liquidité et des périodes de contraction. Cette volatilité reflète les défis auxquels fait face le secteur bancaire national dans un contexte économique en mutation.
L’année 2024 a débuté avec des comptes bancaires affichant 1 433,744 milliards de dinars en janvier, un niveau qui allait connaître des transformations notables au fil des mois. Cette donnée initiale constitue le point de départ d’une trajectoire marquée par des amplitudes significatives, révélatrices des tensions et ajustements opérés dans le système financier algérien. La tendance haussière s’est rapidement manifestée dès février, avec une progression vers 1 588,537 milliards de dinars, soit une augmentation de plus de 154 milliards de dinars en un seul mois. Cette dynamique ascendante s’est poursuivie en mars, atteignant 1 828,469 milliards de dinars, marquant ainsi le premier sommet de l’année avec une croissance mensuelle de près de 240 milliards de dinars. Le mois d’avril a connu une légère inflexion avec une baisse à 1 798,569 milliards de dinars, perdant environ 30 milliards par rapport au mois précédent. Cette correction s’est révélée temporaire puisque mai a enregistré une nouvelle progression spectaculaire vers 1 919,190 milliards de dinars, établissant un nouveau record avec une hausse de plus de 120 milliards de dinars. L’évolution de juin mérite une attention particulière, les comptes ayant légèrement reculé à 1 902,638 milliards de dinars, une diminution de 16,552 milliards qui suggère une phase de
stabilisation relative. Cette période de consolidation s’est brutalement interrompue en juillet avec une envolée exceptionnelle vers 2 321,129 milliards de dinars, représentant une augmentation de plus de 418 milliards de dinars, soit la plus forte progression mensuelle de la période étudiée.
Le pic atteint en juillet constitue le niveau le plus élevé enregistré sur les onze mois analysés. Cette performance exceptionnelle témoigne d’une injection massive de liquidités dans le système bancaire, probablement liée aux politiques monétaires accommodantes de la Banque d’Algérie pour soutenir l’activité économique durant la période estivale. Août a marqué le début d’une phase de correction avec un recul vers 2 241,065 milliards de dinars, soit une baisse de 80,064 milliards de dinars. Cette tendance baissière s’est accentuée en septembre, où les comptes ont chuté à 2 303,067 milliards de dinars, puis en octobre avec 1 698,833 milliards de dinars, représentant une contraction de plus de 604 milliards de dinars par rapport au pic de juillet. Novembre a poursuivi cette tendance de décrue avec 1 686,826 milliards de dinars, soit une diminution supplémentaire de près de 12 milliards de dinars. Cette évolution descendante sur les derniers mois de l’année interroge sur les facteurs structurels qui influencent la liquidité bancaire en Algérie.
L’analyse comparative entre le début et la fin de la période révèle une augmentation nette de 253,082 milliards de dinars entre janvier et novembre 2024, soit une croissance de 17,65%. Cependant, cette progression globale masque l’amplitude des variations mensuelles qui ont caractérisé cette période, avec des écarts pouvant dépasser 400 milliards de dinars d’un mois à l’autre.
Ces fluctuations importantes des comptes bancaires s’inscrivent dans un contexte plus large de transformation du système financier algérien. Les établissements bancaires ont dû composer avec les variations des cours des hydrocarbures, principales sources de devises du pays, tout en s’adaptant aux nouvelles réglementations bancaires et aux exigences de financement de l’économie nationale.
La corrélation entre l’évolution des comptes bancaires et d’autres indicateurs de la Banque d’Algérie, notamment les avoirs en devises et les opérations de reprise de liquidité, suggère une gestion active de la politique monétaire. Les autorités monétaires ont manifestement utilisé divers instruments pour réguler la liquidité bancaire selon les besoins de l’économie. L’impact de ces variations sur le financement de l’économie réelle demeure une préoccupation centrale. Les banques algériennes, confrontées à ces fluctuations de leurs comptes, ont dû adapter leurs stratégies de crédit et d’investissement, influençant par ricochet l’accès au financement pour
les entreprises et les particuliers. La période estivale, marquée par le pic de juillet, coïncide traditionnellement avec une augmentation de l’activité économique et des besoins de financement. La forte augmentation des comptes bancaires durant cette période suggère une réponse appropriée du système financier aux exigences saisonnières de l’économie algérienne.
L’analyse de ces données révèle également l’importance des mécanismes de régulation monétaire mis en place par la Banque d’Algérie pour maintenir la stabilité du système financier. Les variations observées reflètent probablement les ajustements nécessaires pour concilier les objectifs de croissance économique et de stabilité monétaire. Cette évolution des comptes bancaires constitue un indicateur pertinent de la santé du secteur financier algérien et de sa capacité d’adaptation aux défis économiques contemporains.
Y.M