Assia Belhocine , présidente d’ENDO Algérie à eBourse: «Sur les obstacles à la prise en charge de l’endométriose»

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Dans un pays où l’endométriose reste largement méconnue, Assia Belhocine, présidente d’ENDO Algérie, première association nationale de lutte contre cette maladie, nous parle de son engagement et des défis auxquels les femmes algériennes atteintes d’endométriose font face. À 48 ans, et elle-même diagnostiquée depuis plus de vingt ans, elle est devenue une voie essentielle pour des milliers de femmes en quête de reconnaissance et de soutien…

 E.Bourse : Qu’est-ce que l’endométriose ?

Belhocine : «L’endométriose touche environ 1 femme menstruée sur 10. Cette maladie, longtemps méconnue, est difficile à vivre. Elle se définit comme la présence, hors de la cavité utérine, de tissu semblable à la muqueuse utérine. Ce tissu, influencé par les hormones à chaque cycle menstruel, s’implante sur des organes voisins (péritoine, ovaires, trompes, intestins, vessie, diaphragme, etc.). Les principaux symptômes incluent, les douleurs pelviennes invalidantes, parfois chroniques, l’infertilité dans certains cas, et une multitude de symptômes liés à la localisation des lésions. Ces manifestations affectent la vie personnelle, conjugale, professionnelle et sociale des patientes».

Quels sont les principaux défis auxquels les patientes sont confrontées pour diagnostiquer et traiter cette maladie ?

«Le sous-diagnostic reste une problématique majeure, car la méconnaissance de la maladie et la variabilité des symptômes retardent souvent le diagnostic, entraînant des années d’errance médicale pour les patientes. Par ailleurs, les traitements disponibles sont coûteux et limités, rendant les soins inaccessibles à de nombreuses femmes. Ces traitements ne sont pas curatifs, et les coûts liés à la procréation médicalement assistée (PMA) ou aux médicaments spécialisés restent hors de portée pour beaucoup, car non pris en charge par la sécurité sociale. Le manque de sensibilisation constitue un autre défi important, car tant le grand public que certains professionnels de santé connaissent mal la maladie, ce qui complique la reconnaissance des symptômes et l’accès aux soins adaptés. Enfin, l’endométriose a un impact psychologique considérable, la douleur chronique et le sentiment d’incompréhension pouvant mener à des situations de détresse émotionnelle et sociale pour les patientes».

Comment évaluez-vous la connaissance générale de l’endométriose, tant chez les patientes que parmi les professionnels de santé ?

«Chez les patientes, les symptômes de la maladie sont souvent sous-estimés et confondus avec d’autres affections, notamment parce qu’elle peut toucher plusieurs organes comme les reins, le tube digestif ou la vessie. Ce manque de reconnaissance retarde le diagnostic, provoquant des années de souffrance inutile. Du côté des professionnels de santé, les connaissances sur l’endométriose restent inégales selon les spécialités et l’accès à la formation continue. Le diagnostic demeure un défi en raison de la variabilité des symptômes et de l’absence de test spécifique, tandis que les traitements proposés s’avèrent souvent insuffisants ou inadaptés, notamment pour les formes sévères. Bien que des progrès aient été réalisés, le constat est unanime : il reste encore beaucoup à faire pour garantir une prise en charge adaptée et efficace de cette maladie».

Comment l’endométriose est-elle prise en charge dans les cliniques et par la sécurité sociale, et les patientes bénéficient-elles de soins adaptés, continus et entièrement remboursés ?

«Pour le moment, nous ne pouvons pas parler de véritable prise en charge par la sécurité sociale. Le combat de l’association est, en effet, de faire reconnaître l’endométriose comme une maladie chronique. Certains traitements sont prescrits aux patientes, mais ils ne sont malheureusement pas remboursés, notamment ceux liés à la PMA (Procréation médicalement assistée), dont le coût reste inaccessible pour de nombreux foyers».

Certains médicaments et interventions chirurgicales ne sont pas toujours accessibles. Comment les patientes gèrent-elles les coûts élevés des soins ?

«Les patientes atteintes d’endométriose recourent à diverses stratégies : souscription à des complémentaires santés, aide des associations de patients, financement participatif, recours aux médecines alternatives, et réduction de leurs dépenses personnelles. Bien que certaines solutions existent, comme l’ajustement des tarifs de consultation par certains gynécologues».

Selon vous, quelles améliorations seraient nécessaires au niveau de la sécurité sociale pour soulager le fardeau financier des patientes ?

«Étendre le remboursement à un plus grand nombre de traitements, notamment les thérapies complémentaires telles que la médecine douce et la kinésithérapie spécialisée, pourrait soulager les douleurs et améliorer la qualité de vie, ainsi que couvrir les coûts relatifs à la PMA. Simplifier les démarches administratives pour obtenir des autorisations de soins et faciliter l’accès à des spécialistes comme les gynécologues, endocrinologues et chirurgiens spécialisés permettrait une prise en charge plus rapide et efficace. Il serait également crucial de rembourser les séances de psychothérapie, nécessaires pour accompagner les patientes face à la douleur chronique et à l’impact de la maladie sur leur quotidien. Il est essentiel que ces mesures soient mises en place en concertation avec les patientes, les associations de malades et les professionnels de santé».

Pensez-vous que l’endométriose devrait être classée parmi les affections de longue durée (ALD) pour un meilleur remboursement par la sécurité sociale ?

«Le classement de l’endométriose parmi les affections de longue durée (ALD) serait une avancée majeure pour plusieurs raisons. Il permettrait d’officialiser le caractère chronique et invalidant de la maladie. Un meilleur remboursement des traitements, souvent coûteux, faciliterait l’accès des patientes aux soins nécessaires. Cela contribuerait également à réduire les inégalités d’accès aux soins, particulièrement pour les femmes les plus précaires».

Quel rôle joue votre association dans l’accompagnement des femmes atteintes d’endométriose ?

«Le rôle de notre association est d’informer le grand public, les professionnels de santé et les femmes elles-mêmes sur l’endométriose, ses symptômes, son diagnostic et les traitements disponibles. Ont offre également un espace d’écoute et de soutien psychologique, permettant aux femmes de partager leurs expériences et de bénéficier d’un soutien émotionnel. Elle milite pour une meilleure prise en charge médicale, la réduction des délais de diagnostic et la reconnaissance de l’endométriose comme une affection chronique. De plus, nous organisons des sessions pour les médecins afin d’améliorer leurs connaissances et d’uniformiser les pratiques. Parallèlement, l’association soutient la recherche scientifique sur l’endométriose pour mieux comprendre la maladie et développer de nouveaux traitements».

Quels types de soutien votre association propose-t-elle aux patientes, et quelles actions met-elle en place pour sensibiliser le public, les professionnels de santé et les décideurs pour promouvoir sa reconnaissance comme une maladie invalidante ?

«Les campagnes de sensibilisation sont essentielles dans la reconnaissance de cette maladie comme une pathologie invalidante. Elles permettent de sortir l’endométriose de l’ombre, la rendant visible aux yeux du grand public, des professionnels de santé et des décideurs politiques. En fournissant des informations claires sur les symptômes, les causes et les traitements, elles améliorent la compréhension de la maladie et incitent les femmes à consulter plus rapidement un médecin. Elles sensibilisent également les autorités sur l’ampleur du problème et les souffrances des patientes, ce qui pousse les pouvoirs publics à prendre des mesures pour améliorer la prise en charge. De plus, elles favorisent l’émergence de groupes de soutien et de réseaux de patients, renforçant ainsi le pouvoir d’action des personnes concernées. Toutefois, il est important de souligner que les effets de ces campagnes nécessitent un effort soutenu et coordonné de tous les acteurs concernés et ne produisent pas des résultats immédiats».

Avez-vous des projets pour collaborer avec d’autres associations, locales ou internationales, pour renforcer le soutien et les ressources pour les femmes atteintes?

«Oui, Il est essentiel de collaborer avec d’autres associations pour renforcer le soutien aux femmes atteintes d’endométriose. En unissant nos forces, nous pouvons partager des connaissances, des outils, des réseaux et des financements, ce qui permet de mutualiser nos ressources. Ensemble, nous pouvons sensibiliser davantage le public et les décideurs politiques à cette maladie. De plus, l’échange d’expériences et de bonnes pratiques nous permet d’innover et d’améliorer nos actions et aussi d’accélérer la recherche avec des moyens financiers et humains plus importants».

Propos recueilli par Sonia Hamoumraoui