19 mars 1962

La Mémoire, l'Héritage et l'Avenir

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Par Yacine Merzougui
À l’occasion de la commémoration du 63e anniversaire de la fête de la Victoire, le message du président Abdelmadjid Tebboune résonne comme un écho profond entre passé glorieux et aspirations contemporaines. Ce discours, au-delà de sa dimension cérémonielle, s’impose comme une réflexion substantielle sur l’identité nationale algérienne, façonnée dans le creuset d’une lutte anticoloniale devenue référence mondiale.
Le 19 mars, date gravée dans le marbre de l’histoire algérienne, marque l’aboutissement d’une épopée collective extraordinaire. Ce jour ne commémore pas seulement la conclusion formelle d’un conflit, mais consacre la renaissance d’une nation. Le président Tebboune évoque avec justesse cette dimension presque mythologique de la guerre de libération, « l’une des plus grandes et plus majestueuses révolutions contre le colonialisme » qui demeure « l’une des plus authentiques et nobles épopées de la lutte des peuples contre la tyrannie ». Cette caractérisation n’est pas simple emphase rhétorique. Elle place la révolution algérienne dans son contexte universel, comme un jalon essentiel dans l’histoire mondiale des mouvements d’émancipation. Le sang versé pour la liberté n’appartient pas qu’à l’Algérie ; il nourrit un patrimoine commun de l’humanité dans sa quête perpétuelle de dignité et de justice.
Le devoir de mémoire comme impératif politique
À travers son message, le président réaffirme la centralité du devoir de mémoire dans la construction politique contemporaine. Les « sacrifices douloureux et cruels endurés par le peuple algérien avec courage, foi et patience » constituent un capital moral inaliénable, une ressource patrimoniale qui légitime les choix du présent. Cette fidélité aux martyrs n’est pas simple piété commémorative, mais véritable boussole éthique. Les « mêmes principes et valeurs, sans compromis ni marchandage » évoqués par le président incarnent cette continuité revendiquée entre la lutte d’hier et les défis d’aujourd’hui. Ils délimitent un espace politique où certains principes — souveraineté nationale, dignité collective, justice sociale — demeurent non négociables. Le message présidentiel articule avec habileté la référence au passé révolutionnaire et les impératifs de modernisation. L’édification d' »un État moderne » par « une politique économique attractive pour les investissements » s’inscrit dans une narration nationale où le développement économique prolonge et actualise la lutte d’indépendance. Cette continuité idéologique n’empêche pas l’innovation stratégique. Le président dessine les
contours d’un modèle développemental spécifiquement algérien, fondé sur « la valorisation des potentialités nationales » et orienté vers « un développement durable et une promotion sociale continue ». La souveraineté économique et la justice sociale apparaissent comme les deux piliers indissociables d’une vision qui refuse les injonctions uniformisantes de la mondialisation néolibérale.
La jeunesse : héritière et actrice du renouveau
L’attention particulière portée à « des réalisations et des succès pour sa jeunesse » révèle la conscience aiguë des enjeux démographiques et sociaux. Dans un pays où la majorité de la population n’a pas connu directement la guerre de libération, la transmission intergénérationnelle des valeurs révolutionnaires constitue un défi existentiel pour le projet national. Le message présidentiel suggère que cette transmission ne peut réussir que si elle s’accompagne d’opportunités concrètes d’épanouissement et de réussite. Les « expériences pionnières dans le domaine de l’investissement » mentionnées esquissent une stratégie d’inclusion économique de cette jeunesse, appelée à réinventer l’héritage révolutionnaire dans les conditions du XXIe siècle. La dimension internationale du message mérite une attention particulière. L’évocation d’une « volonté politique prospective, vigilante face aux complications de la situation régionale » révèle la conscience des mutations profondes qui remodèlent l’environnement géopolitique algérien.
Le président réaffirme l’ancrage des positions diplomatiques dans « les idéaux et les principes de la glorieuse révolution de libération ». Cette fidélité aux fondamentaux anticolonialistes n’exclut pas la « vigilance » et l’adaptation aux « transformations que connaissent les relations internationales ». On devine ici l’esquisse d’une diplomatie souple dans ses méthodes mais inflexible dans ses principes, capable de naviguer dans un monde multipolaire complexe sans compromettre l’héritage révolutionnaire. Le renforcement du « front intérieur » évoqué par le président apparaît comme la condition sine qua non de toute ambition nationale. Dans un contexte régional troublé et face aux défis socio- économiques contemporains, la cohésion nationale constitue à la fois un objectif politique et un
impératif de sécurité. Cette cohésion ne repose pas uniquement sur des dispositifs institutionnels ou sécuritaires, mais sur une « conscience nationale qui fait la fierté des Algériennes et des Algériens ». Le message présidentiel suggère ainsi que l’adhésion populaire au projet national demeure la véritable garantie de sa résilience face aux turbulences internes et externes. La conclusion du message, avec son invocation religieuse et ses souhaits pour le mois de Ramadan, rappelle la place de la spiritualité dans l’identité nationale algérienne. Cette dimension, souvent négligée dans les analyses politiques conventionnelles, constitue pourtant un élément
structurant du lien social et de la continuité historique revendiquée. L’articulation entre la référence aux martyrs et la prière pour l’acceptation du jeûne et des prières suggère une conception où patriotisme et spiritualité se nourrissent mutuellement, sans confusion ni instrumentalisation. Cette dimension contribue à ancrer le message politique dans un système de valeurs partagées qui transcende les clivages partisans. Le message présidentiel du 19 mars 2025 révèle, au-delà de sa fonction commémorative, une vision politique cohérente où la fidélité à l’héritage révolutionnaire nourrit un projet de développement national ambitieux. Cette articulation entre mémoire et projet, entre reconnaissance de la dette envers les générations sacrifiées et responsabilité envers les générations futures, définit le cadre éthique et politique dans lequel s’inscrit l’Algérie contemporaine.
La « victoire » célébrée n’est pas seulement celle d’hier, acquise au prix du sang contre le colonisateur ; c’est aussi celle qui se construit chaque jour dans l’effort développemental, dans la résistance aux pressions extérieures, dans la transmission intergénérationnelle des valeurs fondatrices. Le président Tebboune invite ainsi la Nation à concevoir sa marche historique comme un processus continu où chaque génération est appelée à remporter ses propres victoires, fidèle à l’esprit des sacrifices passés mais créative dans ses réponses aux défis de son temps.

Y.M